Pourquoi la société semble-t-elle ou du moins se dit-elle fatiguée ? Dans ce premier volet d’une série intitulée D’une fatigue à l’autre, Pierre-Olivier Monteil part des constats (épidémie de burn-outgrande démissionfatigue d’être soi) pour déjà montrer qu’il n’y a là «rien à voir avec un hypothétique refus du travail» mais plutôt «la fin de la confiance en un bénéfice ultérieur à escompter» de notre hyper-adaptation à l’emploi.

Premier volet de l’article D’une fatigue à l’autre (I): Une société fatiguée, mais de quoi?, dans le numéro de Foi&Vie 2022/3.

La Fondation Jean Jaurès et la CFDT ont publié, en novembre 2021, un bref essai issu des travaux d’un comité d’experts commun, intitulé : Une société fatiguée?. Cette réflexion interdisciplinaire ambitionne de redonner leur place aux sciences sociales dans l’action publique, pour une meilleure compréhension de la crise liée à la pandémie de Covid-19 et de ses suites (1). Il serait cependant réducteur de limiter la portée de cette étude aux enseignements que l’on peut tirer de la pandémie stricto sensu. En effet, le diagnostic qu’elle dresse d’une société «fatiguée» est multifactoriel et se réfère à des phénomènes à la fois antérieurs et postérieurs à la pandémie elle-même. L’essai paru est par ailleurs complété et éclairé par cinq notes publiées entre février 2022 et janvier 2023, consacrées à des thématiques plus ponctuelles. Elles concernent pour l’essentiel la sphère du travail et montrent d’ailleurs que la crise sanitaire a opéré comme un révélateur et un accélérateur de tendances antérieures, plutôt qu’elle n’en serait la cause (2).

Les ingrédients étaient ainsi réunis pour que se répandent dans les médias divers commentaires interprétant cette fatigue comme le symptôme d’un déclin de l’engagement au travail, voire d’une éventuelle paresse française. Ce jugement est sans doute symptomatique d’un certain état d’esprit du moment, soucieux de réhabiliter la valeur travail, qui serait prétendument menacée. Il n’en constitue pas moins un contresens au sujet d’une fatigue qui, me semble-t-il, n’a rien à voir avec un hypothétique refus du travail. Bien plutôt, ces textes s’attachent à saisir l’expression d’une plainte émergeant d’une société aussi épuisante qu’épuisée, comme le suggère Hélène L’Heuillet. Une plainte à ne pas dépolitiser en la psychologisant, comme le souligne Patrick Boucheron, qui interroge aussi notre «docilité» et l’épuisement des imaginaires qui empêche toute remise en question.

Dans cet article, j’aimerais prendre librement le relais de ces réflexions et tenter d’en expliciter les enjeux. Y incitent leur approche résolument modeste, voire prudente, en tout cas sans ambition systématique, qui procède par coups de sonde, ainsi que la métaphore de la fatigue, suggestive mais floue. Je me demanderai de quoi notre société est fatiguée, c’est à dire lassée, et non par quoi, ce qui renverrait à de simples causes. Par la suite, j’avancerai dans un autre article une proposition permettant peut-être d’y remédier. Dans l’immédiat, précisons le sens cette fatigue à partir de ce […]