Le début de l’année 2024 a été marqué par un revirement net du discours des autorités réformées sur la question des abus au sein des institutions protestantes. En septembre 2023, la présidente de l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS), Rita Famos, déclarait dans une interview à Protestinfo : «Les Églises membres de l’EERS se trouvent dans une situation différente de celle de l’Église catholique romaine, ne serait-ce qu’en raison de leurs structures. Nous n’avons pas de structures qui permettent de dissimuler systématiquement les abus ni de hiérarchie qui permette de muter facilement les personnes coupables.»

Expliquant avoir été touchée par les témoignages reçus à la suite de cette publication ainsi que par les résultats de l’enquête sur les abus de l’Église protestante en Allemagne, la même Rita Famos a par la suite fortement œuvré pour mettre en place, au sein de l’EERS, un plan de protection et de recherche sur cette thématique. L’un des éléments les plus commentés, le financement par l’EERS seule d’une grande étude en population générale, a été retoqué début juin par l’organe délibérant de l’Eglise (voir notre édition de juillet-août). « C’est vrai qu’il y a eu une certaine médiatisation autour des propos de Rita Famos et de son engagement pour l’étude en population générale, mais je ne parlerais pas de ‹prise de conscience› », modère le pasteur Pierre-Philippe Blaser, membre du Conseil de l’EERS. « La prise de conscience existe depuis longtemps. S’il y a eu un changement de paradigme, au niveau de l’EERS, c’est le choix de prendre délibérément fait et cause pour les personnes victimes. Nous nous efforçons vraiment désormais de partir de cette réalité-là, de leurs témoignages, de ce qu’elles et ils ont à nous dire pour comprendre ce qui s’est passé, et pour comprendre quelles sont les failles de notre institution. »

Acceptation de la base

« Il y a eu, pendant très longtemps, un discours d’immunité protestante et le changement est assez brusque, ici en Suisse », estime pour sa part Josselin Tricou, maître-assistant en sociologie à l’Université de Lausanne. Il prévient toutefois : « Quand on regarde comment l’Eglise catholique a évolué, on s’aperçoit qu’il a fallu du temps. Face à un problème, les groupes se focalisent sur les autres. Les protestants ont été tentés de dire ‹ce n’est pas moi, c’est les catholiques›, mais avant cela les catholiques avaient le même réflexe. En France par exemple, l’Eglise se comparait à l’Education nationale », explique le chercheur qui a participé à l’enquête française pour la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase). « Un peu comme pour toute politique publique, la mise en œuvre nécessite une forme d’acceptation de la base qui peut prendre du temps et demande de la pédagogie. »

« La question des abus est éminemment politique. Nous sommes toutes et tous concernés par des partis pris, des grilles de lecture des événements, des narratifs qui nous offrent des conclusions sur […]