Il n’y a pas d’Église idéale

Au moment de réfléchir sur la mission de l’Église, nous sommes appelés à nous positionner entre une Église idéalisée de manière conforme à notre imaginaire et la réalité d’une Église marquée par les aléas de ce monde.

La première fois où le narrateur des Actes des Apôtres mentionne le mot « Église », il constate la peur des membres de cette Église (Ac. 5,11), après le mensonge d’Ananias et Saphira, car « l’Esprit sortit » de leur vie (ἐκψύχω, v. 5). L’Église ne peut- elle être évoquée dans la narration que marquée par la faiblesse ?

Église visible et Église invisible

Pourtant, nous aimerions bien rêver d’une Église sainte et sans tâche, et voir en elle l’accomplissement de nos souhaits les plus profonds. Il nous arrive, dans notre protestan- tisme (Zwingli, Exposition de la foi chrétienne), d’expliquer ce paradoxe Église visible et Église invisible Pourtant, nous aimerions bien rêver d’une Église sainte et sans tâche, et voir en elle l’accomplissement de nos souhaits les plus profonds. Il nous arrive, dans notre protestan- tisme (Zwingli, Exposition de la foi chrétienne), d’expliquer ce paradoxe de la nature divino-humaine (parfaite-imparfaite) de l’Église en évoquant « l’Église invisible », œuvre de Dieu, corps du Christ dont lui seul connaît les membres, et « l’Église visible », organisation humaine soumise à la loi civile, rassemblant des témoins qui tentent d’exprimer de manière visible l’amour de Dieu pour le monde. La Parole de Dieu est la réalité qui fait que l’Église, communauté des élus, soit le corps du Christ. Mais force est de reconnaître que nos témoignages sont à des lieues de coller à ce dont ils désirent rendre compte.

Le premier acte de l’Église est de reconnaître ses limites

De ce fait, aucune de nos Églises ne peut prétendre proposer une visibilité parfaite de l’Église invisible corps du Christ. Voilà pourquoi nous reconnaissons nos limites, tout en essayant de la rendre visible par nos institutions. Le Christ choisit de s’inscrire dans une Parole qui dit que sa puissance s’accomplit dans nos infirmités. Nos Églises sont invitées à ne pas mettre leur fierté dans leurs forces et à ne pas tomber dans le piège de vouloir déclarer illimité ce qui est limité, rendant difficile de faire le deuil de ce qui n’est pas ou plus possible.

Aujourd’hui, nos identités ecclésiales sont sans cesse questionnées par l’évolution de notre culture, dont les changements paraissent parfois nous dépasser, lorsque nous essayons d’être témoins de la grâce de Dieu de manière sérieuse et rigoureuse. Les faits donnent l’impression que cette évolution ne cesse de s’accélérer.

L’Église a ses frontières fluides avec le monde

Pensons par exemple à l’évolution de la loi, à celle de la communication, ou encore aux changements rapides des cultures chez les jeunes générations (et même parfois chez les moins jeunes), favorisés par la globalisation des informations et par la fluidité des frontières culturelles (Appadurai, Condition de l’homme global).

De quoi l’Église d’Ananias et Saphira avait-elle peur ? Devons-nous craindre que nos identités ecclésiales ne collent plus à la mis- sion de nos Églises ?

Des Églises aux identités temporaires

Avec Bonhoeffer, je pense que nos Églises sont appelées à chercher leur lieu et leur identité là où se tient le Christ (La Nature de l’Église), dont la présence, ineffable par son absence, réforme sans cesse nos projets et nos rêves imaginaires. Néanmoins, à défaut de savoir avec certitude où se tient le Christ, nos Églises peuvent se donner des identités temporaires qui confèrent de la cohérence à nos projets, car ce sont des facteurs d’harmonie lorsque leurs limites sont assumées (Appiah, Repenser l’identité). Le Christ prend le risque de faire avec nos manques, et d’être présent là où on ne l’attend pas. Lorsque, dans la foi (et/ou dans notre imaginaire), nous croyons rendre présent le Christ dans les lieux où nos Églises se tiennent, espérons qu’une Parole de Dieu puisse être entendue !

Par Mino Randria, pasteur à Toulouse