Jeune pasteur venu d’un horizon non protestant, Arnaud vit ici son premier poste, depuis 9 ans. Belle longévité, déjà, pour cette première étape de ministère ! Arnaud est intarissable sur le territoire des Hautes-Alpes, ses habitants et paroissiens, leurs qualités et défauts. Nous rencontrons d ’abord un ancien pasteur qui a exercé pendant quelques années à Gap, Denis Seydoux, et son épouse Sophie, installés là pour leur retraite. Discrétion oblige pour cet ancien collègue vis-à-vis du pasteur en place, Denis se tient à distance des activités paroissiales. Si Sophie en fait autant, elle s’est engagée dans une boutique de commerce équitable, sans lien avec la paroisse mais… remplie de protestants. C’est pour elle un lieu d’expérience et d’observation de la vie locale : « La boutique est pour moi l’image de ce que doit devenir l’Église : festive, ouverte, accueillante, participative. »
Une région exigeante
Arnaud l’admet : il n’avait pas, au début, les codes gapençais et haut-alpins : « J’ai perdu du temps et abîmé des choses en luttant contre la réalité du terrain. » Il y a de l’invisible – manières d’être et de faire – qui peuvent surprendre un « étranger », comme on dit ici. « Les montagnes façonnent les mentalités et il faut apprendre à “ faire avec” : les montagnes ont toujours le dernier mot. »
Le pasteur est ici un aumônier du quotidien où chaque activité demande plus d’énergie qu’ailleurs : motivations, distances, climat, fatigue… « La précarité est l’ADN de l’Église de montagne ».
Et pour contrer les réticences, il n’y va pas toujours de main morte. Je me rappelle les images reçues au journal d’un pasteur déguisé en poubelle (équipé de papiers, cartons et autres rebuts…) lors d’un culte sur l’écologie. « Eh oui, répond-il, il faut des images, du concret et parfois même de la démesure, quand on veut faire entendre des messages qui sortent de l’ordinaire ! »
Tous les trois font en tout cas le constat que la confiance s’est installée.
Hors la ville
Nous reprenons la route : le Champsaur, à quelques kilomètres de Gap, nous attend. Des plaques de neige et de verglas subsistent des chutes de début décembre. Nous faisons halte pour déjeuner chez Jean Van Melle, à Chabottes. Son profil est intéressant : paysan d’origine néerlandaise, il a vécu en Champagne, avant de décider de partir avec son épouse, Marie-Agnès, du côté d’Orcières Merlette, pays que leur fille leur avait vanté. Ils achètent une ferme et en font un restaurant de crêpes. Puis, la retraite s’amorçant, ils font construire à Chabottes une maison plain-pied, avec vue sur les hauteurs enneigées. Protestant, Jean a toujours participé à la vie de l’Église, a été conseiller presbytéral. C’est sa femme, catholique, qui avait instauré il y a 40 ans l’accueil chez eux d’un groupe œcuménique. Alors ils ont poursuivi ici, dans le Champsaur, chaque mois. Hélas, Jean est veuf depuis cet été…
Retrouvailles œcuméniques
Cet après-midi donc, la maison se remplit peu à peu avec l’arrivée d’une quinzaine de personnes, quelques protestants et une majorité de catholiques. Beaucoup de femmes, deux couples, pas mal de personnes engagées dans la préparation des messes et le catéchisme. Certains sont membres de « Baptisés 05 », des catholiques gapençais qui se disent fatigués de voir s’étendre la tendance conservatrice dans leur Église des Hautes Alpes. Ils ne sont pas rattachés à la Conférence des baptisés, mais exercent leur esprit critique. « C’est nous le peuple de Dieu ! », répète volontiers Françoise.
Depuis des années, ce groupe fait route commune en compagnie des textes bibliques, sous la houlette d’Arnaud… qui refuse de faire figure d’expert.
Un long parcours
La séance est un peu différente, en ce jeudi, puisqu’après un long tour de table, la discussion s’élance sur les avancées du groupe, ce que chacun y trouve, la vie de l’Église catholique locale… Ces personnes se connaissent bien, on perçoit la durabilité de leurs échanges. Pierre s’exclame : « On vient dans le Champsaur avec bonheur : on repart avec des questions, des doutes, des mots grecs… c’est super ! ». Il a également participé au groupe OKLM (« au calme »), à Gap, avec la proposition, par exemple, de « gestuer » des personnages de la Bible. L’une dit qu’elle a pris goût aux méditations bibliques quotidiennes et qu’en lien avec le groupe de lecture, cette pratique lui parle plus encore. Une protestante, qui a vécu en région parisienne et a pris sa retraite d’infirmière dans le Champsaur, se retrouve bien dans un tissu associatif très riche. Dans un couple qui se dit sans étiquette confessionnelle, l’une évoque le choc du travail sur les Écritures, quand l’autre souligne ses recherches sur les différentes approches du texte. « En tout cas, on est sur un territoire magnifique, et ce n’est pas un désert. On peut remercier qui de droit ! »
Cultiver le lien
Le pasteur prend la parole à son tour : « Le groupe a changé, des personnes nouvelles se sont intégrées… il a fallu sans cesse réajuster, mais c’est le groupe « historique » de mon ministère ici ! Il ne s’agit pas d’une étude biblique – même si on a appris des choses et que le niveau a augmenté : au début, on ne savait pas toujours ce qu’était la Bible ! L’idée, c’est de cultiver le lien. Plutôt que de vouloir trouver absolument le message originel de l’auteur, il faut faire confiance au texte, se laisser interpréter par lui. Je voudrais que chacun devienne auteur, autrice de sa propre lecture de la Bible. »
Groupe de lecture de la Bible, lieu de partage fraternel et confiant… Jean tient bon l’accueil, qui permet aussi de briser sa solitude.
Avant de repartir dans les villages, on se partage les savons d’Alep dont la vente soutient des chrétiens de Syrie. Arnaud, lui, va retrouver la ville et ses défis communautaires.