MADELEINE BAROT (1909-1995)

Madeleine Barot, née à Châteauroux dans une famille intellectuelle nullement engagée dans l’Église, suit une formation de lettres et d’histoire. Membre active de mouvements de jeunesse protestants, la Fédé des étudiants et les Unions chrétiennes de jeunes filles, elle participe à la rencontre mondiale de jeunes en 1939. Elle se spécialise pour devenir bibliothécaire, puis obtient une bourse à l’École française de Rome.

Elle commence une thèse de doctorat. En 1940, rapatriée en France, elle est embauchée par Suzanne de Dietrich comme secrétaire générale de la Cimade. Les Alsaciens déplacés n’ont plus besoin d’aide ; mais il y a urgence à s’occuper des détenus des camps du Sud-Ouest de la France (Gurs, Rivesaltes…) où s’entassent dans une grande misère et détresse des étrangers de provenances diverses, internés par le gouvernement Pétain. Madeleine Barot obtient que des équipières y pénètrent et y demeurent, au début au prétexte d’apporter des layettes pour les nouveau-nés. Peu à peu, elles organisent non seulement quelques soins, mais une écoute et une animation culturelle et spirituelle. Madeleine, qui peut en sortir, tient au courant les autorités protestantes, entre autres le pasteur Marc Boegner à Nîmes.

Les thèses de Pomeyrol

Avec l’appui du pasteur Wilhelm Visser ‘t Hooft (futur responsable du Conseil œcuménique des Églises) et de Suzanne de Dietrich, venus de Genève, elle est à l’initiative de la réunion à Pomeyrol en septembre 1941 (en majorité des pasteurs), où sont rédigées les fameuses Thèses de Pomeyrol qui prennent position contre le nazisme et dénoncent tout antisémitisme. Elle prendra personnellement part ensuite à l’effort de la Cimade pour l’évasion de Juifs hors de France. En 1988 elle sera nommée Juste parmi les nations par Yad Vashem. Après-guerre, toujours responsable de la Cimade, c’est elle qui organise les baraques d’entraide et de secours dans les villes les plus sinistrées de la côte atlantique. Puis en 1947, qui négocie l’ouverture de la baraque installée à Mayence pour un contact à établir avec des étudiants allemands bouleversés par la défaite allemande : première étape vers la réconciliation. Après sept ans à la Cimade, Madeleine Barot initie au Conseil œcuménique des Églises le département L’homme et la femme dans l’Église et la Société qu’elle gère avec de nombreux voyages durant des années. Elle participe à la création de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture). Elle manifestera jusque dans sa retraite, à Paris (1973), le discernement de tâches à entreprendre.

ZÉLINE RECLUS (1805-1887)

La Révolution française a redonné au protestantisme français, en principe aboli depuis un siècle et longtemps durement persécuté, la liberté de conscience et de culte. Puis, Napoléon lui a accordé un statut officiel en payant les pasteurs comme les prêtres. Le XIXe siècle voit donc son épanouissement en France. C’est aussi le temps où les femmes cherchent leur place et leur tâche, alors qu’elles sont toujours mineures et que la bonne société n’envisage pas qu’elles exercent un métier comme les hommes. La femme dont nous allons parler, exceptionnelle à plusieurs titres, est aussi représentative du souhait de tant d’autres : être fidèle à sa vocation d’épouse et de mère, être une chrétienne avec toute l’humilité souhaitable, mais annoncer sa foi, en témoigner par sa vie entière, enfin arriver à réaliser ce dont elle était capable, sans jamais se plaindre de la difficulté ou du poids de la tâche.

Un mariage

Née à La Roche-Chalais en Dordogne, le 25 janvier 1805, dans une famille d’ancienne petite noblesse, Zéline Trigant se marie à 19 ans (en 1824) avec le pasteur de la ville, qui lui a donné des cours de latin. Jacques Reclus, de neuf ans son aîné, est de famille rurale. Pasteur concordataire, il choisira en 1831, par fidélité à ses convictions, de démissionner et de continuer son ministère dans une Église libre. En Béarn, non loin d’Orthez, à Baigts-Castétarbe, il exercera son activité de prédication, d’évangélisation et de service des pauvres. Dans cette aventure spirituelle, à la suite du pasteur Adolphe Monod, Jacques engage aussi son épouse, pas forcément d’accord, et une famille constituée déjà de plusieurs enfants. En effet, si onze enfants de ce couple deviendront adultes, il y a aussi ceux qui n’ont pas vécu – trois filles mortes petites et trois fausses-couches – Zéline a été enceinte 17 fois.

Une pédagogue

Jacques est trop peu payé et très généreux. Son épouse réalise qu’il lui faut gagner de l’argent pour que le ménage puisse vivre. Elle apprend à lire à ses propres enfants et aux petites servantes, mais c’est pour nourrir la maisonnée qu’elle se met à donner des leçons particulières. Passant son brevet d’institutrice, elle ouvre, dès 1834, une petite école. Plus tard, ils habitent Orthez et, titulaire d’un nouveau diplôme, Zéline devient (en 1841) l’entière responsable d’une pension pour jeunes filles. Elle y est, toute sa vie, non seulement l’enseignante dans de nombreux domaines y compris l’initiation au latin et à l’anglais, mais une vraie éducatrice. Excellente pédagogue, elle a soin de former à leur existence future les filles qui lui sont confiées: elle leur apprend aussi couture et broderie, les accompagne dans la foi. Pour ses propres enfants, elle tempère de son mieux la sévérité et la rigueur de leur père.

Des cinq fils, tous grands voyageurs, le géographe Élisée Reclus est le plus célèbre. Les quatre autres le sont aussi en ethnographie, géographie, médecine. Les deux aînés ont été un temps bannis en Suisse après la Commune. Onésime a inventé le mot francophonie. Armand a contribué au canal de Panama. Les six filles, très cultivées, ont de bonne heure pu gagner leur vie (souvent en Grande-Bretagne) comme enseignantes ou traductrices. Zéline a connu quelques honneurs pour sa tâche. Elle s’éteint à 82 ans. Il ne faut pas confondre Zéline avec sa nièce Pauline Reclus, qui fut une pionnière dans l’Éducation nationale.

PORTRAITS DE FEMMES PROTESTANTES EN EUROPE AU XVIE SIÈCLE NICOLE VRAY, LA CAUSE, 2018, 172 P. 13 €

La Réforme s’est répandue au XVIe siècle grâce —aussi— à de nombreuses femmes. Nicole Vray leur rend justice dans un livre qui traite des converties aux résistantes, c’est-à-dire jusqu’au XVIIIe siècle. Reines, princesses et femmes de la noblesse, elles ont encouragé et protégé les protestants, soutenu leurs maris et leurs enfants en les exhortant à la constance dans la foi. Certaines ont même tenu bon malgré l’hostilité de leur famille, comme Renée de France, mariée au catholique duc de Ferrare. Le lecteur découvrira certainement quelques personnalités qui méritent de sortir de l’anonymat. Le rôle des femmes pour le maintien de la foi est aussi justement souligné grâce à l’enseignement de la lecture pour toutes, même chez les plus pauvres. Nombre d’entre elles ont tenu leurs familles à bout de bras, avec instruction religieuse et lecture de la bible dans le secret du foyer. Un ouvrage qui leur rend justice. Anne-Marie Balenbois