Henry Belin, directeur général du CASP nous explique en quelques mots les raisons pour lesquelles l’urgence et l’insertion sont une alliance complexe.
Le CASP est à la fois un « urgentiste » et un promoteur d’insertion. Comment parvenez-vous à coordonner cet équilibre entre les différents pôles ?
Henry Belin : Il me semble que le CASP est très concerné par la dialectique qui est proposée comme thématique des journées nationales de la FEP. Vous comprendrez que dépasser cette tension n’est pas d’abord une question d’organisation, mais bien une question de culture et de charisme à l’échelle de chaque établissement. Quelle est cette tension ?
L’insertion demande de savoir prendre du temps, parfois beaucoup, pour développer une relation structurante avec la personne accueillie et l’aider ainsi à se remettre debout.
L’urgence en revanche demande d’avoir de bons réflexes rapides, tant dans le montage des établissements que dans l’accueil des personnes à rassurer et à contenir tout à la fois.
D’un côté l’écoute est dominante, alors que de l’autre c’est l’action avec son adrénaline. J’ai le bonheur de constater que le CASP est traversé par ces deux charismes et c’est un peu sa signature si vous m’autorisez cet auto satisfecit !
Le CASP est politiquement opposé à la gestion saisonnière de personnes en situation de détresse et recherche des solutions d’hébergement plus pérennes. Cependant, dans les faits, vous rencontrez des personnes en situations de détresse. Quels sont alors les moyens investis par le CASP pour apporter des réponses immédiates pendant l’hiver notamment ?
H. B : Nous avons ouvert la caserne de Reuilly à la demande du gouvernement. Nous y accueillons depuis début décembre 160 personnes. Nous avons accepté cette mission en espérant pouvoir accompagner les personnes sur le long terme. En effet une fermeture d’établissement signifie non seulement mettre des personnes à la rue, mais c’est également une rupture de liens qui est souvent la cause première d’exclusion des personnes que nous accueillons. Le serpent se mord la queue.
Néanmoins, le CASP ne souhaite pas tomber dans des positions dogmatiques et doctrinales. Ce n’est pas parce que nous sommes opposés à la gestion saisonnière qu’on ne fera pas tout pour mettre en place des dispositifs pour accueillir des personnes pendant l’hiver.
Notre souhait consiste cependant à accompagner jusqu’au bout dans la mesure du possible. Citons par ailleurs l’une de nos structures pérennes la « Maison dans la rue », accueil de jour qui joue un rôle très important durant toute l’année et particulièrement pendant l’hiver.
Mais on constate que sans réforme structurelle, les dispositifs d’urgence se retrouvent engorgés. Dans certains centres d’hébergement d’urgence, censés être une réponse limitée dans la durée, certaines personnes s’y éternisent. Lorsque l’urgence se pérennise, est-ce encore de l’urgence ?
H. B : La notion d’urgence qui fut le point de départ du CASP dans les années quatre-vingt a en effet de moins en moins de sens tant pour le CASP que pour le secteur social puisque la rotation des personnes accueillies est presque gelée dans les Centres d’hébergement d’urgence.
Pourtant, vous le savez, la rue bouillonne de plus en plus et les associations comme les pouvoirs publics se sentent dépassés.
Aussi, l’urgence pourrait vouloir dire autre chose pour nous : un contact, je dirais une porosité, avec la rue, sans chercher à tout résoudre, mais de manière à faire advenir une exégèse des questions de société auxquelles la rue nous renvoie, en les prenant plus en amont. La « Maison dans la rue » joue déjà ce rôle d’observatoire fin.
Par ailleurs, toujours à propos de l’engorgement, les équipes sont parfois démunies dans l’accompagne ment des personnes migrantes sans issue administrative à court terme et dont l’inactivité prolongée en hébergement peut poser des problèmes. Pourtant, nous savons aujourd’hui à travers certaines expériences très réussies qu’il est possible de donner un sens à cette station prolongée, notamment à travers une vie d’établissement vivifiée. À ce propos, nous observons aussi que certaines personnes ne veulent pas aller en logement car la vie dans l’établissement donne parfois un sens à leur vie.
Et être en logement, c’est s’isoler à nouveau. Le CASP est conscient de ce problème.
Il nous semble que la question du lien durable, porteur d’une promesse, est centrale dans notre société. C’est la raison pour laquelle nous sommes inspirés d’adjoindre au pôle urgence un établissement connu sous le label « le projet innovant du CASP ». Il s’agira d’aller à la rencontre des per- sonnes dites « stabilisées » dans la rue et de prendre le temps de faire alliance avec elles pour les inviter peu à peu à rejoindre une maison où un logement les attend, des allers-retours étant possibles avec la rue. En fait, c’est un peu comme le renard et la rose, il faut du temps pour s’apprivoiser !
Vous voyez que, contrairement à la dialectique annoncée au départ, l’urgence devient ce lieu où l’on prend le temps…
Propos recueillis par Nicolas Derobert et Charlène Missler