À la fin du XVIIIe siècle, parallèlement aux courants de pensée philosophiques, s’exprime le besoin d’une piété plus sentimentale et émotionnelle, d’une foi axée plus sur le sentiment que sur le dogme ou l’intellect ; bien sûr cela passe aussi par la musique. Les frères moraves, mouvement protestant dans la lignée du réformateur Jean Hus, ont pratiqué des cantiques différents du corpus des psaumes et des chants de la tradition luthérienne. Le comte Zinzendorf, un de leurs évêques (1700-1760), considérait le chant comme « un moyen bien approprié, voire le plus important pour exprimer la joie émanant de la foi et pour constituer une communauté. »

Le cantique romantique

Il instaura des « Singstunden », heures de chanter, où on enchaînait les cantiques, comme une sorte de prédication chantée, qui étaient pour lui presque aussi importants que la cène, pour exprimer le bonheur de la paix du ciel. Goethe dira de ces cantiques dans son roman Wilhem Meister : « l’originalité et la naïveté de l’expression m’attiraient. » Ces cantiques dans la lignée de la piété baroque (je pense aux Membra Jesu Nostri de Buxtehude) sont souvent focalisés sur le sang versé et les plaies ouvertes du Christ.

Dans le monde anglophone, ce sont les frères Wesley, dont le mouvement de réveil conduira au méthodisme, qui ont instauré un nouveau mode d’expression spirituelle. Pratiquant une prédication en plein air, le chant devient un support pour la piété personnelle et l’évangélisation. Les hymnes ne parlent pas de Dieu, mais s’adressent à lui, les auditeurs passifs deviennent actifs.

En 1817, se crée à Genève une Église « libre » dégagée de tous liens avec l’État. Des pasteurs comme Ami Bost, dont le père était responsable d’un groupe morave, ou César Malan vont composer des cantiques qui seront chantés dans tous les pays protestants, dans le style des cantiques romantiques anglo-saxons.

Ce réveil genevois marquera aussi le protestantisme français dans les années 1820-1850. Le premier recueil de cantiques de réveil dans ce pays est publié en 1834 par Ascan Henri Théodore Lutteroth et connaîtra de nombreuses rééditions.

Une volonté d’évangéliser

L’idée est toujours de relier l’expression d’une foi personnelle à une volonté d’évangélisation, ainsi cette forme de musique a particulièrement bien résonné en 1850 lors de la fondation de l’Église du Luxembourg, rue Madame à Paris, qui voulait apporter la bonne nouvelle dans le Quartier latin.

Dans nos recueils, nos cultes, nos cœurs et nos oreilles, ces cantiques sont toujours vivants. Par exemple : Ô Jésus, tu nous appelles (Zinzendorf), Seigneur, que n’ai-je mille voix (Charles Wesley), Non point à nous Seigneur (Ami Bost), Mon Dieu, mon Père (César Malan)…

Le langage musical est bien différent de celui de JS Bach, mais on garde une harmonie riche, avec beaucoup d’accords de septième diminuée, on chante à plusieurs voix, et ces chants sonnent particulièrement bien avec des orchestres d’instruments à vent en plein air, on n’est pas loin parfois du style des chants patriotiques. La chorale devenue amateur est une activité centrale de la vie paroissiale. Et comme l’esprit de la Réforme est « semper reformanda », l’esprit du Réveil est toujours à relancer.