C’est une réalité aujourd’hui, le christianisme n’est plus majoritaire en France. Il représente environ 40% de la population totale de l’hexagone, avec environ 30% de chrétiens catholiques et 10% de chrétiens d’autres Églises. Les protestants toutes tendances confondues font partie des 10%.
L’Union des Églises Evangéliques Arméniennes de France (UEEAF) est quant à elle une minorité de cette minorité protestante. À la suite du Génocide de 1915, bon nombre d’Arméniens sont arrivés en France, à Marseille, dans les années 1923/1924, via Alep et Beyrouth. C’est à Marseille que de nombreuses familles protestantes évangéliques ont commencé à se réunir dans des maisons pour prier, lire la Bible et chanter des cantiques. Puis, très vite elles se sont installées et développées également à Valence, Lyon et Paris. Elles ont fait appel à l’ACO pour les aider à se réorganiser. C’est ainsi que les pasteurs Joseph Barsumian et Jean Ghazarossian ont été envoyés en France pour répondre à ce besoin, pour y fonder et organiser des églises avec l’aide de l’ACO.
La question de l’identité arménienne
Après plusieurs années de soutien et d’aide de l’ACO, ces églises sont devenues autonomes et se sont intégrées dans le paysage protestant et évangélique français. Elles ont été proches des églises évangéliques libres, puis membre de l’Association des Églises de professants. Ces dernières années, l’UEEAF est devenue membre de la Fédération Protestante de France et du Conseil National des Evangéliques de France. D’églises purement « ethniques » au départ, elles sont devenues au fil du temps, des communautés ouvertes à tous, avec des cultes bilingues (arménien/français), et une identité arménienne plus ou moins marquée selon les paroisses. Elles ont créé de nombreuses associations (jeunesse, missionnaires, humanitaires, organes de presse…) et ont construit des églises, acheté deux centres de vacances… L’UEEAF est composée aujourd’hui d’une dizaine de paroisses réparties dans quatre régions : les régions marseillaise, drômoise, lyonnaise et parisienne. L’UEEAF entretient des liens étroits avec les autres églises évangéliques arméniennes dans le monde à travers le conseil mondial des églises évangéliques arméniennes dont elle est membre fondateur.
Les questions qui se posent à elles aujourd’hui sont plus ou moins identiques à celles qui se posent aux autres Églises en France. Sécularisation, crise des vocations, difficultés de témoignage dans une société laïque, avec en plus, la question de l’identité arménienne à assumer, à transmettre aux jeunes générations. Il est à noter que cette identité a permis et permet toujours aujourd’hui à nos églises d’accueillir des familles arméniennes du Liban, de Syrie, d’Arménie…
Nos églises ont-elles encore un avenir en France ? La question se pose et les réponses sont diverses. Selon que l’on assume ou pas, la notion de minorité chrétienne et d’identité arménienne. Certes, il est vrai que toute Église qui se respecte souhaite grandir, avoir un témoignage de plus en plus large et impactant dans la société. Ceci sur la base des paroles du Christ: « Allez, faites de toutes les nations des disciples… »; et en suivant l’exemple de la première Église après la Pentecôte. Tout ceci est normal, légitime. Mais faut-il pour autant se décourager lorsque la croissance n’est pas au rendez-vous, et que les églises restent de taille modeste ? Faut-il se lamenter, se culpabiliser, se replier sur soi ? D’une façon générale, au-delà de nos églises arméniennes, le fait d’être et de rester minoritaire serait-il signe d’échec du christianisme ?
Minoritaire mais fidèle
Pour ma part, je ne pense pas. Parce que toute la Bible nous montre que Dieu fait son œuvre dans le monde à partir de minorités. Que ce soit l’exemple du peuple d’Israël dans le premier testament: un peuple choisi parce qu’il est le moindre des peuples (Deutéronome 7,7). Que ce soit toute la théologie du « reste fidèle», que nous trouvons dans les Ecritures. Jésus lui-même suit cette direction. Il œuvre avec une minorité, quelques disciples. Il s’adresse à eux avec amour et compassion: « Ne crains rien petit troupeau… » (Luc 12. 32). Jésus a aussi utilisé plusieurs images que l’on ne peut ignorer (le sel, la lumière, les paraboles de la semence, le grain de moutarde…). Autant d’images qui nous parlent de la façon dont Dieu agit dans le monde à partir de peu de choses. Il suffit d’un peu de sel pour donner du goût. Sans parler aussi de la théologie paulinienne sur les forts et les faibles : « Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes » (1 Cor. 1, 27). Être minoritaire ou faible ne semble pas être signe d’infidélité ou d’échec. Nul besoin d’être de grandes églises, d’être majoritaire pour accomplir sa vocation.
La question n’est plus alors une question de minorité ou de majorité, mais de fidélité. La question est davantage une question de qualité de la foi, de profondeur, de rayonnement (une seule lampe suffit à éclairer toute une pièce) que de taille et d’importance numérique. On devrait plutôt parler d’obligation de moyens que d’obligation de résultats, lorsque l’on évoque la mission de l’Église. La croissance numérique peut être au rendez-vous ou pas, qu’importe. Il se peut même qu’une Église minoritaire ait davantage d’impact spirituel sur son environnement et dans le monde qu’une Église majoritaire. L’histoire est là pour nous le rappeler, de même que l’actualité. L’Église n’a pas eu, et n’a pas toujours un bon témoignage lorsqu’elle est majoritaire dans un pays. Les risques de compromissions sont nombreux.
Pour toutes ces raisons, bibliques et historiques, nous ne devrions pas nous lamenter ou nous décourager d’être minoritaires. Ce qui compte c’est notre fidélité au Christ, à sa parole, au message fondamental de l’Évangile de la croix. Ce qui compte, c’est de vivre et de transmettre fidèlement la bonne nouvelle de l’Évangile, comptant sur l’action de l’Esprit Saint.
Par JOËL MIKAÉLIAN pasteur à Issy-les-Moulineaux, président de l’UEEAF