Notre vie spirituelle est un peu comme une bulle de savon, elle a besoin du Souffle qui l’inspire de l’intérieur en coordonnant nos élans, sinon elle disparaît. Et sans la contrainte extérieure du contexte qui lui donne sa forme, elle explose sans pouvoir s’incarner. La membrane est comparable à notre conscience de soi, où nous ressaisissons notre spiritualité, dans un équilibre sans cesse renouvelé. C’est une quête permanente, notamment dans notre contexte post-séculier, où la vision du monde rationaliste est mise à mal par la peur liée aux incertitudes (sanitaire, économique, climatique…). Face à la contrainte extérieure du contexte de la pandémie, j’ai vu se décanter dans nos Églises deux besoins essentiels : le culte centré sur la prédication et le lien communautaire. Le rappel de la présence du Christ comme Parole qui se place au centre de la vie communautaire s’avère plus que jamais pertinent ; elle ne supprime pas la peur mais la surmonte avec nous.

Dans ce cadre, quels pasteurs pour aujourd’hui ?

Avec cet article, le premier d’une série, je décris le pasteur, non pas à travers une approche historique, existentielle ou typologique, mais plutôt par sa fonction de théologien interprète, dans le va-et-vient entre son vécu pratique et sa réflexion théologique sur celui-ci ; je pars de mes propres expériences dans le ministère, en prise avec le contexte. Habituellement, le clerc exerce une fonction symbolique de représentation ; son autorité vient de ce qu’il évoque symboliquement. On attend qu’il provoque la présence du sacré. Ainsi, Max Weber voyait le pasteur comme médiateur de la Parole divine, confondue aux Écritures. Mais il me semble que le pasteur est aujourd’hui appelé à une autre compréhension de sa fonction, plutôt en lien avec l’interprétation de sa confiance dans la fidélité du Christ Parole de Dieu que comme représentant ou administrateur d’une Parole sacrée. Le pasteur ne rend pas présent le Christ, c’est la présence inconditionnelle et pourtant non capturable du Christ qui appelle sa fonction d’interprétation. L’expérience de cette présence provoque et/ou déplace notre conscience de soi. Elle nous aide aussi à accepter que la Parole de Dieu nous échappe ; nous ne pouvons pas confondre celle-ci avec nos paroles humaines, y compris celles bibliques, sauf à être idolâtres. Mais elle vient à nous à travers notre nécessaire interprétation humaine qui balise notre expérience et qui la récapitule ensuite pour assurer une cohérence et une continuité de notre conscience de soi. Voilà pourquoi tout humain est appelé à être interprète de la spiritualité qu’il vit.

Pour cela, nous avons besoin de pasteurs qui rappelleront la nécessité de l’interprétation. Mais ils questionneront aussi chaque fois les conditions relatives à cette interprétation, et inviteront leurs interlocuteurs à rester critiques vis-à-vis d’elle, puisque la conscience de soi provoquée et déplacée par la rencontre avec le Christ, vivante Parole de Dieu, la réforme sans cesse. Ils utiliseront les méthodes recommandées pour éviter tout égarement d’interprétation ; ils le feront avec sérieux, même si leur identité ultime ne s’y joue pas car elle reste cachée en Christ.