Au printemps 2021, plusieurs événements œcuméniques européens rassemblaient des personnalités des différentes Églises et des différentes confessions du continent européen. Une fois de plus, ces rencontres devaient se tenir en visioconférence : 20 ans de la Charta Ecumenica et 20 ans également des Accords de Reuilly. C’est en tant que vice-présidente de la Conférence des Églises européennes (CEC) que Guli Francis Dehqani présidait la liturgie de célébration du premier de ces deux rendez-vous virtuels, c’est en tant qu’évêque de l’Église d’Angleterre qu’elle lisait un passage des Accords de Reuilly lors du second. Pour des yeux de protestant luthérien ou réformé français, voir apparaître le visage de cette femme évêque anglicane crée un certain nombre de décalages par rapport aux préjugés et présupposés culturels religieux. Oui, il y a au sein des Églises nées de la Réforme des évêques. Oui, des femmes peuvent être évêques. Oui, une femme née en Iran peut aujourd’hui être évêque de l’un des plus grands diocèses de l’Église d’Angleterre.

C’est en effet en décembre 2020 que Guli Francis Dehqani a été nommée évêque de Chelsmford par le Premier ministre britannique, Boris Johnson. C’était la première fois que le processus de nomination épiscopale au sein de l’Église d’Angleterre avait lieu uniquement par le biais de rencontres en visioconférences, confinement oblige. Au cours des mois qui ont suivi, c’est encore par le biais de réunions en visioconférence que la nouvelle évêque a rencontré et appris à connaître ses collaborateurs au sein de ce qui est le deuxième plus grand diocèse d’Angleterre en termes de population, dans la banlieue populaire de l’Est londonien.

Mais il semble que Guli Francis Dehqani soit une habituée des premières fois. Lorsqu’elle a accédé aux fonctions épiscopales, en 2017, en tant qu’évêque de Loughborough, elle était alors la première femme BAME (Black, Asian and Minority Ethnic – Noire, asiatique ou issue de minorités ethniques) à devenir évêque de l’Église d’Angleterre. « C’est un très grand privilège d’avoir été nommée évêque de Chelmsford. Je sais qu’il y a de nombreux défis, tant dans l’Église que dans la société, et pas seulement du fait de l’épidémie. Je suis, cependant, confiante pour le futur. En tant que communautés chrétiennes, je crois que notre tâche est de rester fidèles, de partager la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, de servir le monde, de travailler avec d’autres en partenariat. C’est en faisant tout cela que nous découvrirons les dimensions de l’amour de Dieu. »

D’Ispahan à l’est de Londres

Guli Francis Dehqani est née en 1966 à Ispahan, en Iran, où son père était évêque de l’Église anglicane. Alors qu’elle a 14 ans, un an après la révolution islamique de 1979, sa famille doit fuir l’Iran, peu après avoir réchappé de près à une tentative d’assassinat dirigée contre ses parents. Sa mère gardera toute sa vie des séquelles de cet attentat, et son frère Bahram, âgé de 24 ans, sera tué l’année suivante. Après avoir quitté l’Iran, la famille s’installe dans le Hampshire en Angleterre, où son père conserve ses fonctions d’évêque d’Iran jusqu’à sa retraite en 1990, sans jamais pouvoir remettre les pieds dans le pays. Au cours de l’hiver 2020-2021, Guli Francis Dehaqni a été particulièrement attentive au sort des défavorisés et des réfugiés dans son nouveau diocèse, veillant à ce que des soupes populaires, des vestiaires, des distributions alimentaires soient effectués et même démultipliés pour faire face à la casse sociale causée par le confinement. Celle qui, à ce jour, n’a jamais pu remettre les pieds dans son pays natal a plusieurs fois souligné qu’avoir vécu comme réfugiée la rendait sensible à leur condition et aux défis de leur accueil.

Attentive aux marges de l’Église

Elle a étudié la musique à l’Université avant de se tourner vers la théologie, où elle obtiendra un doctorat avec une thèse consacrée au rôle des femmes dans la Church Mission Society en Iran et à leur féminisme. Après avoir été ordonnée prêtre de l’Église d’Angleterre en 1999, elle a occupé divers postes jusqu’à celui d’aumônier de l’Académie royale de musique, en 2004. Alors en congé pour élever ses trois enfants, elle a travaillé avec l’aumônerie interreligieuse de l’Université de Northampton : « J’ai aidé l’équipe de l’aumônerie à mettre en place une approche plus efficace du travail interreligieux. » En 2012, elle rejoint le conseil épiscopal pour les ministères féminins du diocèse de Peterborough puis, devenue évêque elle-même à Loughborough, elle a particulièrement travaillé pour l’assistance et le soutien aux ministres et employés BAME de son diocèse.

L’évêque du logement

Cette attention continue à celles et ceux qui, en raison de leur genre, de leur origine, de leur religion, de leur pauvreté, sont exclues et marginalisées lui a valu, six mois après sa nomination en tant qu’évêque de Chelmsford, d’être nommée pour une mission des plus délicates pour l’Église d’Angleterre. Parmi les critiques récurrentes des dernières années à l’encontre de cette dernière, il y a celle concernant sa politique immobilière. L’Église d’Angleterre fait en effet partie des plus grands propriétaires terriens et immobiliers du pays et a eu tendance à spéculer sur ces propriétés alors que le pays fait face à l’une de ses plus grandes crises du logement. Guli Francis Dehqani a donc été nommée « évêque du logement » pour faire construire des habitations à loyer accessible et trouver des solutions de long terme pour l’Église d’Angleterre dans sa gestion patrimoniale.

Ses engagements en faveur des défavorisés et des marginalisés, ses positions auprès des femmes dans la société et dans l’Église d’Angleterre, ses origines dans l’un des pays de l’ex-Empire britannique, ses convictions internationales et œcuméniques font de l’évêque Francis Dehqani une femme avec une identité forte, mais très certainement à l’image des mutations récentes de l’Église d’Angleterre. Pour l’instant, elle représente souvent la première ou l’exception, mais les changements sont en route, face aux nombreux défis de l’Église et de la société.