Quand le pasteur Robert Mac All crée en 1872 ce qui va devenir la Mission populaire évangélique, il ne fonde pas de Fraternités, ces lieux qui en sont pourtant aujourd’hui les « unités de base ». A travers des salles d’évangélisation ou des péniches qui rejoignent les cités industrielles, il s’agit de convertir. Interdit de parler de politique, en particulier de la Commune de Paris qui vient d’être réprimée dans le sang. Dans son aventure, il attire des pasteurs qui veulent rejoindre aussi le milieu ouvrier, ainsi Tommy Fallot. Pourtant celui-ci va bientôt s’en éloigner, critique de l’apolitisme de Mac All : « Il faut renoncer à convertir les hommes en faisant abstraction de leur milieu pour les en séparer. Ces conversions entre ciel et terre qui font séjourner les âmes dans je ne sais quel ballon captif produisent de pauvres fruits (…) Peu m’importe vraiment les conseils que Dieu a pu donner il y a plus de deux mille ans à Eséchias, roi de Juda, si l’on m’autorise à croire qu’Il est incapable à l’heure actuelle de parler à mon peuple en détresse un langage que celuici comprenne, et de suggérer quelque virile résolution à M. Carnot, président de la République française ! »1. Il fonde en 1888 le Mouvement du christianisme social qui hésite moins à parler politique et se rapproche des socialistes comme Benoît Malon. Échec de la transmission ?
En 1898, Mc All est mort depuis cinq ans, Elie Gounelle s’installe à Roubaix. Le fils de pasteur méthodiste a découvert depuis quelques années le Mouvement du christianisme social de Fallot, s’enthousiasme pour ce courant attentif aux implications sociales de l’Évangile, prend ses distances avec ses amis du Réveil et leur « christianisme impuissant et mystico-nuageux »2. Tommy Fallot lui a transmis un rêve, née de sa critique du modèle de Mc All : plutôt que d’éphémères salles d’évangélisation, créer des Fraternités où croyants et non-croyants agiraient ensemble pour la justice au nom de l’évangile… Sur ce modèle, Gounelle crée à Roubaix une Solidarité, véritable maison chrétienne du peuple où il ne s’agit plus seulement de conversion mais aussi de travail social, de rencontre avec les militants socialistes ou anarchistes. De leur côté, le succès des salles d’évangélisation de la Mission Mc All décline. L’œuvre missionnaire finance le projet de Gounelle. La Maison Verte et le Foyer de Grenelle sont nées peu de temps avant. Les Fraternités de la Mission populaire sont nées. Le projet de Mc All s’est transmis et a perduré par ceux qui l’ont critiqué, l’ont quitté et l’ont fait renaître autrement…
1 Tommy Fallot, Protestantisme et socialisme, éditions Ampelos, 2010, pp. 59-60.
2 Elie Gounelle et Henri Nick, Réveil et christianisme social, Labor et Fides, 2013, p. 216