Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Pour le plaisir d’écrire qui m’anime depuis longtemps. Mais surtout pour témoigner d’une expérience de six années qui, sans aucun doute, est celle qui m’a le plus marqué jusque-là. Le Foyer de Grenelle en effet est un lieu où s’articulent étroitement ressourcement spirituel et engagement social. L’un féconde l’autre et inversement et cela a été très riche de sens pour moi. Car depuis que je suis pasteur, j’aspire à relier ensemble ces deux dimensions de la lecture de la Bible et d’un engagement communautaire pour plus de fraternité et aux côtés de tous ceux qui luttent pour mieux vivre. J’ajouterai que j’ai écrit ce livre à un moment où le foyer traversait une crise au niveau de sa gouvernance et que cela m’a aidé à prendre de la distance et à me recentrer sur l’essentiel qui est le projet du Foyer, c’est-à-dire ce qui donne sens à cette aventure collective.

La Fraternité, personne n’est contre. En quoi ce que tu as vécu à Grenelle te semble spécifique et pertinent pour le monde dans lequel nous vivons ?

La fraternité, personne n’est contre, sans doute. On peut même dire que c’est une aspiration profonde d’un grand nombre de nos contemporains, qui s’est exprimée en France lors des attentats de l’année 2015 en particulier: à un moment où notre vivre ensemble se trouvait menacé – ce sont en effet des lieux de convivialité et de culture qui ont été visés – il y a eu comme un sursaut populaire, une prise de conscience, un désir de se rassembler et de tisser des liens. Certes; cette ferveur pour la fraternité est vite retombée avec l’émotion. C’est justement cela qui m’a poussé à écrire. Pour relater une expérience qui va au-delà de l’émotion, et qui s’inscrit dans la durée en conjuguant plusieurs actions visant à tisser de la fraternité. Ce que propose le Foyer de Grenelle n’est pas unique; c’est ce que je le dis dans mon livre. Bien-sûr, il n’est pas le seul modèle possible pour vivre la fraternité, mais il est un lieu pertinent pour plusieurs raisons:

  • C’est un lieu qui a inscrit la mixité dans son projet depuis plus de cent ans, c’est-à-dire l’accueil de tous dans le respect des convictions de chacun, et des différences sociales ethniques et culturelles. Et malgré les difficultés ou les crises traversées, le foyer n’a jamais renoncé à cela.
  • Plus que d’accueillir chacun individuellement, le projet est d’être un lieu de vie où des liens se tissent et ou des expériences et des projets sont partagés entre gens différents. Je ne dis pas qu’on y arrive toujours, mais souvent. Plutôt que d’apporter à quelqu’un un secours, on préfère l’orienter vers une activité collective qui privilégie le partage, le cheminement côte à côte et la mobilisation de chacun.
  • Il y a des activités qui poursuivent clairement le but de renforcer la capacité d’agir de chacun; par exemple «le parcours vers l’emploi» qui accueille des chômeurs, ou «l’accueil Petit déjeuner»ou «le repas du mercredi»préparé collectivement, mais aussi l’accompagnement scolaire pour les enfants et les cours de français pour étrangers.
  • Le foyer ne se limite pas à l’accompagnement social, il est aussi un lieu de mobilisation citoyenne, pour la défense des droits des étrangers, pour la recherche de solutions politiques aux problèmes de logement, pour la préservation de l’environnement , pour soutenir la démocratie etc. Certes, tout le monde ne se mobilise pas loin de là. Et il faut bien le dire on a du mal à convaincre les personnes les plus précaires du bien-fondé de ces combats politiques.

Une partie des pouvoirs publics développent une vision de la laïcité qui trahit la loi de 1905 et fait violence à des lieux comme les nôtres. Que t’as appris ton expérience à Grenelle sur le sujet ?

À plusieurs reprises, nous avons invité au Foyer de Grenelle J.L. Bianco et N.Cadène de l’observatoire national de la laïcité; et cela m’a amené à approfondir ma compréhension de la laïcité; je développe ce point assez longuement dans ce livre. J’ai été amené à rappeler plusieurs fois à nos partenaires publiques la CAF ou la DASES qui s’inquiétaient de l’identité protestante du Foyer, que le respect de la laïcité était inscrit dans le projet du Foyer depuis longtemps (et d’abord dans la charte de la Miss’ Pop). Et que la Laïcité était avant tout une loi garantissant la liberté religieuse dans le respect de l’ordre public. Dans ce cadre, le Foyer a vocation d’être un lieu qui garantit le respect des convictions de chacun, le libre débat des convictions tant spirituelles que politiques.

Et pour cela il n’est ni nécessaire ni obligatoire de s’astreindre à une neutralité qui par ailleurs serait le pire des remèdes au fanatisme religieux qui se manifeste ici ou là. Aucune personne en effet ne peut se construire sur un vide total de valeurs, d’où la nécessité pour chacun de rencontrer sur sa route des témoins, c’est-à-dire des personnes engagées et capables d’exprimer leurs convictions. Hélas dans cette société matérialiste et technicienne, nous avons fini par oublier que pour vivre, chacun a besoin d’être confronté à la question du sens…