Alors que les abus sont abondamment dénoncés au sein de l’Église catholique depuis plusieurs années, qu’en est-il, à l’ère de #metoo, des violences d’ordre sexuel et spirituel perpétrées en milieu protestant ?

Écouter l’émission Solaé Le rendez-vous protestant (15 janvier 2023, présentée par Jean-Luc Gadreau et réalisée par Delphine Lemer).

Jean-Luc Gadreau : Jean-Gustave Hentz, vous êtes praticien hospitalier, anesthésiste-réanimateur émérite des Hôpitaux universitaires de Strasbourg mais aussi président de la commission Éthique et société de la Fédération protestante de France – et c’est à ce titre que je vous reçois.

«Aujourd’hui, de plus en plus de personnes connaissent dans leur famille ou leur entourage une personne ayant subi une violence sexuelle. Si ces violences ne sont pas forcément plus nombreuses qu’avant, la parole – et c’est heureux – s’est libérée. La violence sexuelle touche toutes les personnes: hommes, femmes et enfants et tous les milieux, et pas prioritairement les milieux défavorisés. Aucune catégorie de la population n’est épargnée, aucune institution, pas même l’Église. La plupart du temps, l’agression est commise par une personne connue de la victime, un proche, un responsable spirituel, un voisin, un membre de la famille profitant de la confiance que la victime lui accorde pour prendre une certaine ascendance sur elle et lui faire violence. Les milieux protestants ne sont pas préservés de ce mal, hélas.»

Ce sont les mots d’introduction d’un document produit par la Commission éthique et société intitulé Les Violences sexuelles et spirituelles dans le protestantisme, constat, analyse et recommandation. Comment en êtes-vous arrivés à ce travail, à ce document, et quel en est véritablement l’objectif, Jean-Gustave Hentz?

« Pas de raison que le pourcentage soit différent en protestantisme »

Jean-Gustave Hentz : L’idée de ce travail a résulté d’une interpellation dans le groupe de bioéthique dont je fais partie, à Strasbourg, Le Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique (CEERE), avec le professeur Marie-Jo Thiel qui a beaucoup écrit sur les crimes sexuels envers les enfants dans l’Église catholique. Plusieurs personnes m’ont ainsi interpelé pour me dire: «Et vous, chez les protestants, est-ce que ça vous concerne?». J’ai réfléchi, j’en ai parlé avec les autres membres de la Commission et, unanimement, il a été décidé qu’il fallait étudier la situation du côté protestant. Jamais nous n’aurions imaginé que cela représente un tel travail! Jamais nous n’aurions imaginé tout ce que nous allions trouver et tout ce que nous aurions à métaboliser, puis proposer. Mais c’était une aventure passionnante. Nous sommes donc partis (c’est évidemment critiquable) en nous disant qu’il n’y a pas de raison que le pourcentage soit différent en protestantisme de ce qu’on trouve dans la population française normale. Cela a été le point de départ.

Jean-Luc Gadreau : Ce livret comporte quatre témoignages suivis d’une trentaine de pages de réflexion et enfin 17 recommandations et interpellations adressées à la fois aux Églises, aux communautés, aux œuvres et aux mouvements de la Fédération protestante de France, à leurs pasteurs, à leurs conseils et à leurs membres. Ce choix de commencer par des témoignages vous semblait important, il me semble?

Jean-Gustave Hentz : Oui, car, au départ, même au sein de la Commission, les gens m’ont dit: «Mais de quoi est-ce que tu veux parler?». Et aussi (mais les personnes en question se sont rétractées après): «Ça n’existe pas en protestantisme». J’ai donc eu énormément de mal à trouver des cas. On en a finalement trouvé deux en France et, comme je suis germanophone, j’ai regardé du côté allemand où nous avons pu en recenser entre 25 et 35; des cas publiés dans des livres, des articles, etc. J’ai ainsi choisi de prendre deux exemples allemands et deux exemples français (les deux exemples français […]