Depuis Pentecôte, la communauté des disciples grandit, accompagnée de signes et de miracles. Les disciples deviennent des milliers en quelques jours. Mais des difficultés surviennent : autorité, délégation de pouvoir, partage des richesses, appartenance ou non à la communauté. En changeant d’échelle, l’Évangile restera-t-il l’Évangile ?

Changer d’échelle, une difficulté pour l’Église

 Notre Église a élaboré le fonctionnement presbytéro-synodal pour gérer les passages entre l’échelle locale et l’échelle globale, avec un souci de garder toujours en dialogue ces deux pôles et de susciter des solidarités. Mais notre système est comme les autres, vulnérable aux travers du grand nombre : la calomnie facile, l’abus de pouvoir… Paradoxalement il est vulnérable aussi à l’Évangile lui-même : les « bons sentiments » sont parfois de bien mauvais guides lorsque les enjeux portent sur des conflits qui font des victimes. Vouloir servir fidèlement l’Évangile à grande échelle peut réclamer d’autres attitudes que celles que l’Évangile inspire dans les rencontres personnelles : ne pas croire, aller vérifier ce qui est dit et ce qui n’est pas dit, examiner les conséquences latérales, assumer un « mauvais rôle »… Le changement d’échelle est une chance, mais reste une difficulté pour notre Église.

Mesure et démesure

Que dira un architecte à ce sujet ? L’échelle est un sujet familier pour lui qui conçoit et réalise aussi bien une poignée de porte qu’une ville. Il sait que chaque chose a une échelle qui lui convient pour entrer dans la réalité de façon heureuse, et que changer d’échelle signifie souvent changer de lois ou de forme. Mais l’échelle est aussi un terrain de créativité pour l’architecte. Prenons quelques exemples. Miniaturiser une forme, telles ces églises miniatures posées sur les toits de certaines églises arméniennes : elles étaient la maquette en pierre de l’église voisine pour en garder mémoire si celle-ci venait à être détruite. Dérégler légèrement l’échelle, comme le faisait l’architecte prussien Karl Friedrich Schinkel, qui construisit des formes habituelles pour une certaine échelle de bâtiment, mais réglées avec des mesures d’une échelle légèrement plus petite ou plus grande, ce qui donne à ses bâtiments une allure de jeunesse. Dernier exemple : au XVIe siècle, l’architecte protestant français Jacques Androuet du Cerceau chercha à inventer la forme d’une ville fortifiée qui pût être défendue par un enfant.

À la fois vigilants et créatifs

L’Évangile, pour sa part, joue avec les échelles, retournant les places entre le plus petit et le plus grand, donnant à ce qui est sans voix de raconter ce qui déborde toute mesure. Sans doute inspire-t-il la phrase collée sur une étiquette qui ouvre les Cahiers de Simone Weil : « ne compte pas ».

Depuis Pentecôte, il s’agit donc pour nous d’être vigilants et lucides quant aux violences que les changements d’échelle peuvent générer, mais aussi d’être créatifs dans ce domaine comme des architectes avertis, tantôt mesurant, tantôt démesurant.