Par Vincent Christeler, pasteur à Annecy

Et les disciples n’ont pas pris assez de pain : ils n’en ont apporté qu’un seul, les malheureux. Ils ont négligé une partie de leur responsabilité, alors, forcément, ils culpabilisent. Comme je les comprends… mais qu’ils ont tort ! Tort d’avoir oublié le pain, certes, mais surtout tort de culpabiliser. On entend parfois dire que le « judéochristianisme » a inventé le sentiment de culpabilité : c’est à la fois un lieu commun et une ânerie (ça va souvent de pair). Que les Églises, en tant qu’institution de pouvoir, l’aient utilisé pour contrôler les consciences, c’est une évidence, qu’il serait malhonnête de nier. S’il arrive qu’elles le fassent encore, d’autres ont pris le relais : associations, partis politiques… Ils le font parfois avec des objectifs louables ; mais refusons de nous laisser embarquer dans de telles entreprises. Agissons par devoir, agissons par conviction, agissons par sens de la justice… agissons par amour ! N’agissons jamais par culpabilité.

Culpabilisation

Que d’autres aient pris le relais sur le marché juteux de la culpabilisation n’excuse en rien les errements des Églises, car leur mission était et est toujours d’annoncer l’Évangile, et l’Évangile c’est le contraire de la culpabilisation, c’est l’anti-culpabilisation. C’est exactement ce qui redouble la colère de Jésus. Il est au début de la scène très remonté contre les pharisiens et il dit à ses disciples de se garder de leur « levain ». Le levain dans la Bible, c’est la plupart du temps quelque chose de négatif, d’impur, quelque chose qui va corrompre, souiller la pâte. Pour les rabbins, ce sont les mauvaises inclinations des humains. Parce qu’il est un sentiment de culpabilité plus nocif, plus pernicieux encore, c’est celui qu’on s’inflige à soi-même ! Les disciples sont en plein dedans ; ils ont oublié le pain et, noyés dans leur culpabilité, ils interprètent tout sous cet angle-là.

Se libérer des fautes

Le mot « levain » prononcé par Jésus ne peut être qu’un reproche indirect à leur faute, ils n’écoutent pas ce qui leur est dit, ils ramènent tout à leur obsession, ils sont persuadés que tout le monde – et Jésus en premier – est tout autant qu’eux focalisé sur leur manquement. Et ça, nous l’avons tous vécu ; même les compliments sont interprétés en reproches : tout n’est envisagé que sous le prisme de cette faute, dont on a l’impression que chacun nous la renvoie à la figure, de manière dissimulée, fourbe. Le sentiment de culpabilité obscurcit nos relations aux autres et à Dieu, et même à […]