C’est une entreprise colossale et minutieuse qui a débuté en 1990 : établir une nouvelle édition critique de la Bible hébraïque. Des chercheurs juifs, catholiques et protestants du monde entier consultent les manuscrits antiques de l’Ancien Testament et en traquent les variantes. « L’idée est de déterminer si le texte que nous avons lu jusqu’ici est bien celui que nous devons lire », résume Innocent Himbaza, professeur titulaire d’Ancien Testament et d’hébreu à la Faculté de théologie de Fribourg.
Le chercheur est, avec son collègue le professeur émérite Adrian Schenker, membre du comité éditorial de la Biblia Hebraica Quinta (BHQ). La Faculté catholique romande s’est profilée comme l’un des centres de ce projet qui reconstruit le texte hébreu de l’Ancien Testament pour les biblistes et pour toutes les traductions à venir. Innocent Himbaza a publié en 2021 le volume de la BHQ consacré au Lévitique. Les dernières publications devraient voir le jour en 2035.
Changement de paradigme
Comme son nom l’indique, la BHQ est la cinquième édition critique du texte hébreu de l’Ancien Testament, la dernière mouture remontant à 1977. Comme auparavant, les éditeurs se basent sur le Codex de Léningrad, un manuscrit du XIe siècle. Celui-ci contient l’intégralité du texte hébreu massorétique, c’est-à-dire tel qu’il a été fixé par des savants juifs au début du Moyen Age.
« Il s’agit du document complet le plus ancien », explique Innocent Himbaza. Dans la BHQ, le Codex de Léningrad constitue donc toujours le corps du texte, auquel les éditeurs adjoignent des notes pour signaler les différences dont témoignent les autres manuscrits. Mais la logique à l’oeuvre pour la BHQ a bien changé. « Autrefois, on estimait que le texte massorétique était le vrai texte biblique et que les autres manuscrits se trompaient quand ils disaient autre chose. Aujourd’hui, on sait que l’état du texte est beaucoup plus complexe. » Une mise à jour s’imposait donc, d’autant que la recherche a réalisé d’importants progrès dans l’étude des manuscrits et de la philologie au cours des dernières décennies.
Erreurs ou corrections délibérées ?
Le Codex de Léningrad fait en effet presque figure de nouveau venu par rapport aux plus anciens papyrus et parchemins que les chercheurs ont à leur disposition: ceux de Qumrân, découverts en 1947 et datant pour certains du IIIe siècle avant Jésus-Christ. Les traductions anciennes de la Bible comme la Septante (en grec) transmettent des versions parfois très différentes du texte massorétique.
« Nous n’avons pas de manuscrit autographe, de la main d’un prophète par exemple, souligne Innocent Himbaza. Même les témoins les plus anciens sont des copies. » […]