Le peuple d’Israël, quand il sort de son esclavage en Égypte, à la suite de Moïse, dans le désert du Sinaï en direction de la terre promise, a besoin d’assurances. Moïse est chargé par Dieu de le conduire et, avant de s’engager dans ce périple, il lui demande quel est son nom afin d’en informer – et de rassurer – ceux qu’il s’apprête à conduire dans le désert. Dieu lui répond : « Je suis qui je serai […]. Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : JE SUIS m’a envoyé vers vous. » (Exode 3.14).
Le peuple veut un dieu qu’il peut voir
Moïse doit se contenter de cet étrange patronyme pour persuader le peuple de le suivre. L’aventure au désert commence et, rapidement, plus personne n’est convaincu d’arriver un jour dans cette terre où, paraît-il, « coulent le lait et le miel » (Deutéronome 27.3). Dès le départ, le doute s’installe : « Dans le désert toute la communauté des fils d’Israël murmura contre Moïse et Aaron. Les fils d’Israël leur dirent : Ah ! si nous étions morts de la main du Seigneur au pays d’Égypte, quand nous étions assis près du chaudron de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour laisser mourir de faim toute cette assemblée ! » (Exode 16.2-3).
L’incertitude angoissante atteint son paroxysme le jour où Moïse s’absente pour recevoir les Tables de la Loi de la main de Dieu et laisse le peuple sous la responsabilité d’Aaron, son frère. Cette absence prolongée de Moïse fait penser à cette foule du désert qu’il l’a abandonnée. Elle manifeste, la manifestation dégénère en émeute et l’émeute en chaos. Aaron se voit sommer de fabriquer une effigie de Dieu, sommation à laquelle il juge ne pas devoir s’opposer, non sans débat de conscience. Il demande au peuple de lui apporter l’or et les bijoux dont il dispose et fabrique une statue de veau. Les Israélites déclarent, devant cette sculpture : « Voici tes dieux, Israël, ceux qui t’ont fait monter du pays d’Égypte ! » (Exode 32.4).
Un autre regard sur Dieu et sur l’autre
La fabrication du veau d’or répond à ce désir d’avoir un dieu à sa portée et d’expérimenter sa proximité rassurante, de recevoir de l’idole créée la sécurité du lendemain. Le Dieu qui se révèle au même moment à Moïse est absolument autre, celui que l’on ne peut pas voir, à peine entendre, et qui veut se donner à lire. Dieu est absent mais comble cette absence, non par l’artifice d’une statue, mais par un texte. Moïse apporte les Tables de la Loi et, devant le spectacle affligeant du peuple prosterné devant une image de veau, il les fracasse et réduit le veau en poussière qu’il jette à la surface de l’eau pour la faire boire à ceux qui veulent voir leur dieu marcher devant eux.
L’épisode du veau d’or est une parabole de la liberté du croyant. Que ce soit par l’évocation de son nom ou le don de la Loi, la Bible nous signifie que Dieu n’existe pas comme nous souhaiterions qu’il existe ; il n’est pas un homme en mieux, il est l’altérité absolue.
Le veau d’or est finalement l’expression imagée et dramatique qui devrait inciter les croyants à ne plus penser Dieu comme un simple mode d’être. La lecture du Livre, symbolisé ici par les Tables de la Loi, nous invite à poser un autre regard sur Dieu et sur l’autre qui surpasse largement l’immobilité d’une statue.