Pour comprendre le texte

Dans le témoignage de Luc, ce récit vient après le passage qui raconte l’annonce de la Résurrection faite par deux hommes habillés de vêtements éblouissants aux femmes venues au tombeau le premier jour de la semaine et le récit de la venue de Pierre au tombeau. (Lc 24,1-12) Dans son témoignage, Luc précise que ce « même jour, deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs. » (Lc 24,13). Cela laisse supposer que cela se passe dans la deuxième moitié de ce jour de la Résurrection.

1 – Jésus s’approche et fait route (Lc 24,13-27) 

« Deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient de tout ce qui s’était passé. » (Lc 24,13-14)

La localisation précise d’Emmaüs n’a pas été identifiée avec certitude. Mais l’on pense à Emmaüs Nicopolis*, à 25 km de Jérusalem, distance que beaucoup de manus- crits de l’évangile de Luc évoquent aussi.

« Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. » (Lc 24,15)

Jésus s’approche et fait route avec eux : ces deux verbes résument toute la démarche de Jésus. Luc nous rappelle qu’en Jésus, Dieu se fait proche des hommes, prend part à leur histoire. Sur nos chemins de vie, Jésus, le ressuscité, se fait compagnon de voyage. 

« Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. » (Lc 24,16)

Cléophas et son compagnon dont le nom n’est pas précisé (il peut ainsi être chacun de nous), sont enfermés dans leur tristesse, dans leur découragement, dans leur espoir déçu. Et alors, ils sont incapables de reconnaître celui qui les a rejoints. C’est seulement en avançant sur le chemin avec Jésus, et en vivant des choses concrètes, fortes, que leurs yeux s’ouvrent et qu’ils le reconnaissent.

Jésus prend d ’abord le temps d’écouter les disciples qui racontent les événements qui ont eu lieu à Jérusalem, leur désarroi, leur déception, leur espoir déçu.

« Nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela voici le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. » (Lc 24,21)

Jésus avait annoncé à ses disciples sa Passion et sa Résurrection le troisième jour. (Lc 9,22 ; 18,33). Aux femmes au tombeau, deux hommes en vêtements éclatants rappellent ce que « Jésus leur a dit quand il était en Galilée : « Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite. » » (Lc 24,7)

Malgré le témoignage de ces femmes et celui d’autres compa- gnons (Lc 24,22-24), les deux voya- geurs ne se rendent pas compte qu’ils vivent l’annonce pascale. Alors ils ressassent les événements et se redisent leur déception. Ils sont désabusés car ils n’ont malheureusement pas la clé pour décoder tout cela.

« Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. » (Lc 24,16)

Sans espérance, le Christ chemine avec eux mais ils sont incapables de sentir sa présence. Jésus les y aide en les invitant à raconter ce qui s’est passé, à redire eux-mêmes ce qu’ils vivent. C’est seulement après cela qu’il prend la parole et leur montre les limites de leur foi.

« Partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toutes les Écritures, ce qui le concernait. » (Lc 24,27)

Jésus leur fait une catéchèse biblique. C’est la Parole même du Ressuscité qui les éclaire sur les Écritures et qui permet d’en révéler le sens profond. Pour les chrétiens, les textes de la Bible lus à la lumière de la Résurrection prennent tout leur sens. C’est en ce sens que saint Augustin disait que « Le Nouveau Testament est caché dans l’An- cien et l’Ancien est révélé dans le Nouveau ».

2 – Jésus dit la bénédiction et rompt le pain (Lc 24,28-35)

« Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir : reste avec nous. » (Lc 24,28-29)

Plusieurs commentateurs pensent que les voyageurs étaient arrivés chez eux, car les usages de l’hos- pitalité de ce temps voulaient que l’on s’efforce avec insistance de retenir un voyageur, pour le « restaurer ». Ainsi les disciples ont envie de garder Jésus avec eux, comme quelqu’un que l’on commence à découvrir et à apprécier et que l’on veut connaître davantage. Finalement, Jésus accepte de rester et passe la soirée avec eux. Ainsi en poursuivant son chemin avec eux, Jésus ouvre notre route à une foi toujours plus vive. La foi ne se nourrit pas seulement de paroles, mais d’une présence : « reste avec nous… Il rentra donc pour rester avec eux. » (Lc 24,35)

« Quand ils furent à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et l’ayant rompu, il le leur donna. » (Lc 24,30)

Ici se trouve, probablement, la clé de toute cette histoire. Cette description des gestes du Ressuscité est significative. Luc rappelle ici ces gestes de Jésus pour faire sentir aux lecteurs que, dans la fraction du pain, il y a non seulement l’amitié et la fraternité partagées mais aussi et surtout la rencontre avec le Christ Ressuscité, comme ce fut le cas pour les disciples d’Emmaüs.

« Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. » (Lc 24,31)

Jésus n’est plus le troisième personnage qui a pris place à table avec eux, il disparaît pour entrer dans leur vie. Il est là vivant, mais invisible, sous les apparences du pain rompu, et aussi dans leur existence concrète.

Les disciples reconnaissent maintenant la présence de Jésus en eux.

« Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » (Lc 24, 32) 

La Parole a réchauffé leur cœur, le Pain rompu a ouvert leurs yeux. J’ai envie de croire que c’est une invitation à la rencontre du Christ à travers la lecture des Écritures et le Pain partagé que nous lance, ici, l’évangéliste Luc.

« À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon- Pierre ». À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. » (Lc 24,33 et 35)

La Parole et le Pain partagés font se retourner les disciples. Ils rebroussent chemin. La rencontre avec le Ressuscité change la direction du chemin qu’avaient pris les deux disciples.

Ils quittent Emmaüs, pour retourner retrouver la communauté des Apôtres, à Jérusalem. Cléophas et son compagnon, alors, remplis de la présence du Christ, racontent ce qu’ils ont vécu et deviennent des témoins du Christ ressuscité. Et de là jaillit le « kérygme », l’annonce du message pascal : le Christ qui était mort est ressuscité !

Pourquoi ce récit ?

Peut-être pour nous rappeler que Jésus lui-même vient dans notre histoire et fait route avec nous. Qu’il nous rejoint dans la banalité de notre quotidien, même si nous n’en sommes pas toujours conscients. Luc décrit un itinéraire à parcourir, auquel chacun peut prendre part, pour reconnaître une Présence, celle du Christ ressuscité, et en être témoin.

* « Nicopolis, localité très connue en Palestine, est l’Emmaüs dont Cléophas était originaire et dont parle l’évangile de Luc » (Eusèbe de Césarée, Onomasticon 90,15-17).