L’apôtre Jacques écrit dans sa lettre que « la religion pure et sans tache, devant Dieu notre Père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction et à se préserver des souillures du monde 1 ». Tenir le monde à bonne distance tout en ayant conscience de la société serait donc notre défi. Le christianisme a, de ce point de vue, un positionnement tout à fait singulier en regard des autres religions.

Espérer dans le royaume de Dieu

La foi chrétienne repose sur l’affirmation que Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts. Le monde nouveau, annoncé par l’Ancien Testament, est advenu. Le paradoxe de la théologie chrétienne est que la fin est déjà commencée sans pour autant être pleinement achevée.

« Quand vient le règne de Dieu ? » demandent des pharisiens à Jésus qui vient de purifier dix lépreux 2 . La purification d’un lépreux équivaut à la résurrection des morts, elle est le signe de la manifestation de la venue du règne de Dieu sur la terre. Jésus répond deux choses à ses interlocuteurs : d’une part le règne de Dieu ne vient pas comme « un fait observable » ; d’autre part, il est déjà parmi eux. Le règne est tout proche mais il s’agit d’une proximité existentielle et non pas d’un futur datable. Les Évangiles ont été écrits en grande partie pour encourager les croyants à continuer d’espérer dans la venue du royaume malgré le temps qui semblait s’allonger. Le règne de Dieu est une réalité à la fois présente et à venir. Le chrétien vit dans le déjà-là du « pas encore ». Dans cette perspective, le monde est en cours de transformation vers son état définitif qu’est la création nouvelle.

Contribuer à la transformation du monde

Le christianisme n’encourage nullement l’homme à se retirer du monde. Au contraire, il considère qu’il est animé par l’Esprit divin et collabore à la transformation de la vie humaine – personnelle et collective – et du monde. L’apôtre Paul écrit que « la création tout entière gémit encore dans les douleurs de l’enfantement 3 ». L’originalité de la pensée chrétienne par rapport à la culture environnante est l’affirmation de la solidarité du monde et du genre humain, dans l’épreuve comme dans la destinée. Le mal frappe l’être humain et le monde ; par conséquent, il ne peut être identifié ou attribué à la seule matière, comme le soutenaient la philosophie grecque et la pensée gnostique de l’époque. L’être humain et le monde sont l’un et l’autre appelés à la perfection. La théologie du Nouveau Testament ne fait pas l’apologie d’un âge d’or mythique et révolu qu’il faudrait retrouver. Le monde est en mouvement constant, le temps va vers son accomplissement et l’homme est appelé à s’engager dans sa construction.

La meilleure façon de ne pas subir en spectateur les changements est de ne pas s’y conformer mais plutôt de « renouveler son intelligence afin de discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait ». Autrement dit, de se rendre libre en allant contre ce que la société attend. Ne nous accommodons pas de la norme admise par le plus grand nombre mais cherchons celle qui vient de Dieu. Le chrétien est appelé à porter un regard distancié et critique sur le monde en mutation dont il fait partie sans pour autant faire corps avec lui.

1 Jacques 1.27. 2 Luc 17.11-19. 3 Romains 8.22.