Identité en question
Cet épisode de Jésus enseignant dans la synagogue de Nazareth un jour de sabbat est assez banal. Mais Jésus, étant fils de Joseph le charpentier, aurait dû suivre l’exemple de son père et devenir charpentier. Son changement de « métier » surprend l’auditoire qui s’interroge sur son identité. Le fait qu’il enseigne dans la synagogue découle surement de son statut de rabbi. Mais ce qu’il dit semble extraordinaire, des propos emplis de sagesse.
Nous avons un exemple intéressant de changement de regard sur une personne. Ne nous arrive-t-il pas de recroiser des catéchumènes et de nous émerveiller en raison de ce qu’ils sont devenus, l’un avocat, l’autre enseignant… Cette surprise ne vient pas d ’une mauvaise évaluation de leurs capacités, mais du poids de notre regard : petits ils étaient, petits ils restent dans notre mémoire ; le temps passe sans que nous pensions à leur croissance et leur métamorphose… en adultes responsables et peut-être emplis de sagesse ! Donc, la surprise des voisins de Jésus est relativement normale. Le petit Jésus est devenu grand, et il parle avec sagesse.
La sagesse
D’où vient la sagesse de Jésus ? Nous pouvons apporter deux réponses : soit la sagesse (sophia) lui est venue avec l’âge, les études, l’expérience ; une sagesse apprise et héritée de ses pairs rabbis. Soit sa sagesse lui vient d’ailleurs, comme un cadeau reçu. Effectivement, cette hypothèse d’interprétation est sérieuse car la sagesse « lui a été donnée ». Comme souvent, la forme passive suggère la main de Dieu dans le don. Jésus a donc reçu de Dieu la capacité de parler avec sagesse. Ce qui lui confère un statut particulier, la sagesse de son enseignement n’est pas universelle.
L’expression de la sagesse de Jésus suggère déjà que Jésus a une relation privilégiée avec Dieu. L e s auditeurs s’interrogent également sur sa capacité à faire des miracles. Car tout ceci va à l’encontre de l’image qu’ils ont de Jésus, ou d’un rabbi, ou d’un rabbi particulier, « gâté » par Dieu (sagesse, capacité à faire des miracles…).
L’enseignement
Les auditeurs s’interrogent sur l’enseignement délivré : « Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée ? » L’enseignement de Jésus exprime une sagesse nouvelle. Ce questionnement témoigne d’une nouveauté dans le discours de Jésus par rapport aux autres rabbis. Sinon, l’étonnement ne serait pas de mise.
La sagesse de Jésus est une véritable philosophie de la vie. Dès le début de l’évangile, Jésus s’engage dans un ministère avec Dieu, envers et contre toutes les tentations du monde. Toutes les guérisons sont des expressions d’une attention particulière envers les malades et exclus, à l’encontre des règles de pureté et d ’impureté de la synagogue. Son enseignement est donc nouveau car au-delà des coutumes, Jésus voit l’humanité brisée ou fragilisée et offre un renouveau de vie possible.
Croire au-delà des apparences
On pense souvent que la question du croire est binaire : on croit ou on ne croit pas. Cet épisode confirmerait cette hypothèse, car malgré leur questionnement, les habitants de Nazareth qui ont entendu l’enseignement de Jésus persévèrent dans le scepticisme, ou utilisent l’origine de Jésus (fils de charpentier) comme prétexte pour résister à l’évidence de sa sagesse proclamée.
Croire au-delà des apparences n’est pas donné aux habitants de Nazareth ; ils semblent enfermés dans un passé. Ils ne font pas le saut de la foi, restant au niveau de l’humanité familière de Jésus. La sagesse pour le lecteur de l’évangile Le lecteur de l’évangile peut constater que la foule de Nazareth est incapable de reconnaître la vraie identité de Jésus. Il comprend que l’erreur serait de rester au niveau de l’origine humaine de Jésus. Or, pour recevoir ses enseignements et accéder à sa sagesse, il faut reconnaître la part divine de Jésus. Le lecteur est aidé en raison des annonces successives concernant l’identité de Jésus : dès le chapitre 1 avec le baptiste, le lecteur a appris qu’il est puissant et qu’il baptisera dans l’Esprit saint. Puis, le lecteur apprend au chapitre 2 qu’il est « Fils bien aimé de Dieu ». Le lecteur de l’évangile est donc habilité à lire tous les récits de guérisons et de miracles avec un regard juste sur Jésus.
Croire
Croire n’est donc pas une expérience active, un pouvoir sur la foi, mais simplement un regard sur Jésus, une reconnaissance de l’origine divine de son ministère et de ses actions. Dire « Je n’ai pas la foi » n’a dans ce contexte aucun sens. En revanche, le libre arbitre peut s’exprimer dans l’action de ne pas reconnaître Jésus comme Fils de Dieu. Ce qui serait dommage car le texte suggère qu’en dehors de la confiance dans la divinité de Jésus, aucun miracle ne peut se produire.
Fils et filles de Dieu
Ce texte nous permet également d’affirmer que tout propos ou toute action de sagesse (divine ou non) ne peut être reçue que dans l’ouverture à l’autre, dans une reconnaissance de son identité d’être aimé par Dieu.
Texte biblique : Marc 6,1-6 (traduction Nouvelle Bible Segond)
1 Parti de là, il vient dans son pays, et ses disciples le suivent.
2 Quand le sabbat fut venu, il se mit à enseigner dans la synagogue. Une multitude d’auditeurs, ébahis, se demandaient : D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée ? Et comment de tels miracles se font-ils par ses mains ?
3 N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José, de Judas et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici, parmi nous ? Il était pour eux une cause de chute.
4 Jésus leur disait : On ne refuse pas d’honorer un prophète, sinon dans son pays, parmi les gens de sa parenté et dans sa maison.
5 Il ne pouvait faire là aucun miracle, sinon qu’il guérit quelques malades en leur imposant les mains. 6 Il s’étonnait de leur manque de foi. Il parcourait les villages d’alentour en enseignant.