Une bonne nouvelle
Et si nous commencions par une bonne nouvelle ? Le mot « écologie » lui-même nous y invite. Il apparaît en 1866, chez le biologiste allemand Ernst Haeckel. On connaît logos, qui renvoie à la parole et à la raison. On sait moins que le préfixe « éco » vient du grec ancien oikos, qui signifie « maison ». L’écologie, c’est littéralement l’étude de la terre et le discours sur elle comme maison pour la vie. L’écologie, c’est la bonne nouvelle du vivant en son habitat !
Toute approche de la situation actuelle, et en particulier tout regard chrétien, commence là. Dans la position de récepteur du don de l’existence, que Dieu nous offre librement, par amour. La joie d’être, première expérience de la grâce ! Contemplons-nous assez ce fait merveilleux que notre petite perle azur, dans l’immensité du cosmos étoilé, a été rendue favorable à la vie, à ta vie ? « Que tes œuvres sont nombreuses, Seigneur ! Tu les as toutes faites avec sagesse, la terre est remplie de tes créatures. » (Psaume 104.24)
Créatures uniques dans la famille des créatures, nous, les humains, sommes des êtres de relation et de parole, sujets conscients, libres et responsables. La théologie de la création, comme traité classique, puis la théologie écologique, comme relecture située, fondent de diverses manières notre vocation chrétienne au sein du créé.
Des usufrutiers
D’une part, des responsabilités implicites sont identifiées. En particulier, si Dieu, en sa qualité de Créateur, est le propriétaire de la création (Psaume 24.1, par exemple), notre habitation et notre action seront pensées sous la figure de l’usufruitier. Celui-ci doit prendre soin du bien qui lui a été confié. Il devra le rendre, et rendre compte. L’humain ne peut réclamer ni propriété ni maîtrise sur le sol et ses ressources, l’air ou les eaux, ou sur les vivants.
D’autre part, des responsabilités explicites sont avancées, par l’interprétation des textes traitant plus directement du rapport au reste de la création. Cela va de la bénédiction originelle en vue de « dominer » et d’« assujettir » (Genèse 1.28) jusqu’au signe pacifique de la cohabitation de Jésus avec les animaux (Marc 1.13) ou à l’interdit pour les pagano-chrétiens de manger la viande avec le sang (Actes 15.20), en passant par la bonté et la sollicitude divine pour les animaux dans la Loi (Exode 20.10 et Deutéronome 5.14, entre autres, où ils bénéficient du sabbat).
Ensemble, ces éléments forgent une fondation composite mais solide pour un engagement écologique chrétien, à l’image d’une maison bâtie sur de nombreux piliers. Au fond, il s’agit d’être messagers et acteurs de l’« évangile de la création » !
Ancrés dans cette foi, nos cœurs se serrent devant les coups portés à notre maison commune. Car telle est bien la nature du bouleversement de la nature : il n’en va pas seulement de l’urgence climatique ; avec l’entrée dans la sixième extinction de masse des espèces, l’acidification des océans, l’érosion galopante des sols, les perturbations des cycles de l’azote et du phosphore, la cassure du cycle de l’eau… nous avons dépassé six des neuf frontières planétaires, et il convient de parler d’une dégradation des « conditions d’habitabilité » de la terre. C’est dans sa qualité de « maison » qu’elle est atteinte ; comme planète, elle nous survivra.
L’économie non économe
Face au défi, on ne saurait faire l’économie de se pencher sur le système économique qui est, de fait, l’instrument de l’humanité pour user intentionnellement de la nature. Or, l’économie que l’Occident moderne a créée et mondialisée a oublié notre insertion dans la création, nos (inter)dépendances et la finitude de la terre. Malgré de timides ouvertures, la théorie macroéconomique travaille encore largement hors-sol, comme si énergie, matériaux, biens et services écosystémiques étaient substituables. Et les pratiques majoritaires demeurent linéaires : extraire, produire, consommer puis jeter.
Nous sommes dans une société de croissance, productiviste et consumériste, qui porte une vision matérialiste du bonheur par le plus et le nouveau, croit à un croître poursuivi et veut, surtout dans la finance, la maximisation d’un profit rapide. Nous avons accompli la performance d’inventer l’économie non économe.
C’est pourquoi une des paroles du Christ de la plus hardie pertinence pour notre temps est : « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre […]. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel […]. Car où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » (Matthieu 6.20-21). Nous sommes appelés à une conversion écologique et sociale profonde, aux niveaux spirituel, systémique et pratique, que les Églises en France ont nommée « la révolution de la sobriété » (Conseil d’Églises chrétiennes en France, Adresse œcuménique à l’occasion de la COP27 sur le climat et de la COP15 sur la biodiversité, 28 octobre 2022).
Il s’agit de revenir dans un espace durable avant d’y être contraint, et d’apprendre à vivre et à s’épanouir dans un état stable. Pour le Nord et les plus riches, la transition vers un monde post-croissance s’appelle la « décroissance ». Elle n’est pas un projet en soi : faire moins pour faire moins est aussi absurde que l’inverse. La décroissance est l’étape vers l’après d’une économie stationnaire et d’une société de l’avoir-assez, reliée au vivant, plus lente, partageuse, décoloniale, relationnelle et juste.
Il est crucial de saisir ce que ce chemin offre de gains. Les mots du Conseil d’Églises chrétiennes en France sont forts : « En inventant, dans un mouvement libre, des formes de frugalité choisies, responsables et solidaires, qui commencent avec ceux dont l’empreinte écologique est la plus lourde, nous trouverons un enthousiasme fécond. » Il ajoute : « Car savoir jouir des choses simples, ralentir, partager, rendre des espaces, du silence et la nuit aux plantes et aux animaux : en cela réside plus de créativité, plus de liens, plus de profondeur, plus de gratitude, plus de vivants, plus de beauté, et au total, plus de joie. La modération n’est pas l’autre nom de la frustration, mais la chance de nouveaux épanouissements. »
Cet horizon ne fait-il pas envie ? Outre l’évitement de la menace, notre vocation de disciples du Créateur porte des promesses. Manger de saison, c’est aussi retrouver le temps des cerises ! L’écologie sera aussi gourmande, ou elle ne sera pas.