Dans sa lettre, Aux versets 5 et 6, Jude compare ces « impies » et leur sort, à des aggeloi « qui n’ont pas gardé la dignité de leur rang » et à leur sort :
A vous qui savez tout cela, je souhaite rappeler que… les aggeloi qui n’avaient pas gardé la dignité de leur rang, mais qui avaient quitté leur propre demeure, il les garde dans des liens éternels, au fond des ténèbres, en vue du jugement du grand jour1.
Les « anges » de l’épître de Jude
Les exégètes s’accordent pour discerner dans les aggeloi dont Jude parle des anges, des êtres célestes2. Mais à quel événement ou à quelle réalité Jude fait-il allusion lorsqu’il affirme que ces anges n’ont pas « gardé la dignité de leur rang » et ont « quitté leur propre demeure » ? Deux propositions sont avancées par les exégètes :
L’épisode que rapporte Genèse 6,1-4 :
Lorsque les humains eurent commencé à se multiplier sur la terre et que des filles leur furent nées, les fils de Dieu virent que les filles des humains étaient belles et ils prirent pour femmes toutes celles qu’ils choisirent. Alors le Seigneur dit : Mon souffle ne restera pas toujours dans l’être humain, car celui-ci n’est que chair ; ses jours seront de cent-vingt ans. En ces jours-là – et encore après cela – les Nephilim étaient sur la terre, lorsque les fils de Dieu vinrent vers les filles des humains et qu’elles leur donnèrent des enfants : ce sont là les héros d’autrefois, les hommes de renom.
La révolte originelle des anges sous la conduite de Satan, le Serpent ancien, qui a eu lieu avant la chute d’Adam et d’Eve, mais dont on ignore les circonstances et les détails.
La révolte originelle des anges ?
On comprend que la seconde interprétation soit principalement celle des exégètes qui identifient les « fils de Dieu » de Genèse 6,1-4 à des humains et non à des anges. Tenant à la cohérence de l’Ecriture et estimant que l’interprétation des textes vétérotestamentaires par les auteurs néotestamentaires est fiable et même normative, ils ne peuvent identifier les « anges » de Jude aux « fils de Dieu » de Genèse 6,1-4. Parmi ces exégètes, il y a ceux qui, tels Augustin, Luther ou Calvin, discernent dans ces « fils de Dieu » des hommes de la lignée de Seth, car « c’est en son temps, dit l’Ecriture, que l’on commença à invoquer le nom de Yahvé » (Gn 4,26). Les « filles des humains » de Genèse 6,2 seraient ainsi des filles de la lignée de Caïn3. D’autres exégètes, dont Meredith Kline, Alan Millard, D.J.A. Clines et Pierre Berthoud, identifient les « fils de Dieu » de Genèse 6,1-4 à des rois sacrés du Moyen-Orient ancien auxquels on attribuait souvent une filiation ou une origine divine4. Le grand exégète juif du XIe siècle Rachi (de Troyes) voyait déjà dans ces « fils de Dieu » des « fils des princes et des juges » en trouvant comme appui scripturaire la parole que Dieu a adressée à Moïse concernant son rôle et celui d’Aaron : « Il sera ta bouche et tu seras son dieu » (Ex 4,16) de même que celle d’Exode 7,1 : « Le Seigneur dit à Moïse : Regarde, je te fais dieu pour le pharaon. »
La chute des anges de Genèse 6,1-4 ?
Cependant, selon la majorité des commentateurs contemporains, Jude ne renvoie pas à la révolte initiale des anges sous l’instigation de Satan. « Manifestement, écrit Bénétreau, il y a référence à la chute des “fils de Dieu” rapportée en Gn 6,1-4 »5. Ce mot « manifestement » peut paraître fort, mais il semble justifié, car plusieurs éléments du texte montrent que Jude avait l’événement de Genèse 6,1-4 à la pensée. Nous en relevons quatre.
Premièrement, les anges, […]