L’histoire du grain qui meurt en terre fait partie de celles-ci et a été très largement popularisée par le titre du récit autobiographique d’André Gide.

Le texte de l’Évangile de Jean se situe après l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et inaugure le temps de la condamnation et de la Passion du Christ. Jean précise que la renommée de Jésus était grande depuis la résurrection de Lazare (Jean, 11) et que certains juifs grecs de la diaspora, qui étaient venus à l’occasion de la fête de la Pâque, désiraient le voir. Jésus ne donne pas suite à cette demande d’entrevue et répond par l’intermédiaire des disciples : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance. »

Jésus refuse que la popularité de ses miracles le réduise à n’être qu’un simple thaumaturge à prétention politique. Jésus ne veut pas d’un messianisme à tendance nationaliste, il ne veut pas être un agitateur de foule. Jésus n’est cependant pas apolitique, au sens où il déserterait l’histoire ; il vit dans la proximité des exclus, il annonce la bonne nouvelle messianique pour les opprimés, il vit une certaine liberté par rapport à la loi, il manifeste une distance, voire une opposition vis-à-vis autorités instituées. Le ministère terrestre que Jésus conduit a pour ambition d’élaborer une autre relation à Dieu, fondée sur l’établissement de nouvelles règles du jeu qui frapperaient de précarité toutes les institutions qui abusent de leur pouvoir. Ce grain métaphorique, que Jésus oppose à ceux qui voudraient le voir ou l’admirer, représente cette contestation paradoxale de la figure du Sauveur. Une graine, c’est petit, fragile, on peut l’écraser et la réduire en miettes en un tour de main.

Promesse de pain et de nourriture

Et puis cette graine, c’est aussi une promesse, promesse de pain et de nourriture sur notre table. Il y a aussi une force incroyable dans un grain de blé, une force qui fait sortir les épis de la terre, c’est la force de la nature, c’est la force de la vie. À partir d’un grain enterré, c’est une multitude de graines qui jaillit. Par ce refus de Jésus d’apparaître comme l’homme providentiel, l’homme est renvoyé à son destin singulier mais aussi au tragique de l’histoire. L’homme de la résurrection de Lazare va finir sur une croix, victime consentante de la violence de la société. Dieu transformera l’échec en résurrection.

C’est cette reconnaissance qui jette une lumière nouvelle sur la messianité de certaines pratiques libératrices de Jésus : celles-ci sont légitimées par la Résurrection et permettent ainsi de reconnaître en lui un Messie différent qui ne correspond donc pas à des attentes nationalistes ou politico-sociales. Nos institutions et nos politiques devraient s’inspirer davantage de cette glorification paradoxale que défend ici Jésus. Dans cette image de la graine sont contenues à la fois toute la précarité de nos vies, la précarité de nos institutions et de nos règles et l’immense potentialité d’une parole prononcée au-delà de nos contingences. L’image de la graine, c’est celle, souvent reprise dans l’Évangile, de ce mouvement d’abaissement et d’accroissement, ce mouvement qui ne tient jamais rien pour définitif et qui se construit sur la promesse.

Brice Deymié, aumônier national des prisons, Fédération protestante de France