Par Didier Fievet, pasteur retraité, ancien membre du comité national de la Miss’ Pop’
Il y a des mots redoutables. Sacrifice est de ceux-là. Exalté par les uns, et de sinistre résonance pour les autres. Appel à un renoncement soi-disant salutaire : à un juste salaire pour sauver les dividendes, à un droit pour sauver l’ordre, à sa vie pour sauver une cause supérieure. Mais, on l’entend aussi comme le cadeau suprême (parfois au coût parfois exorbitant ? « Me faire ça, quand je t’ai tant sacrifié ! ») C’est aussi, souvent à notre insu, un chemin de résistance. Sacrifier passe par une mise à mort, mais pour quoi ? Pour se vautrer dans la mort, ou cultiver la vie ? Pour complaire à une divinité, à une image héroïque de soi ? Ou pris dans la dynamique du don ? Serait-il Dieu, ce tyran céleste qui prendrait plaisir à notre humiliation, à notre mort ? Aurions-nous le droit moral de l’appeler Dieu, sans y perdre notre dignité ? Parler de sacrifice oblige à récuser les dieux sadiques dont la méchanceté n’a d’égal que notre servilité.
Manger ensemble
Est-ce de cela dont parle la Bible quand elle dit « sacrifice » ? Oui. Et non ! Oui, parce que le peuple hébreu est comme les autres : il confond Dieu avec ses idoles. Il met à mort les exclus sur l’autel du prestige des puissants, abrités derrière la bien-pensance. Mais, non ! Parce-que jaillit aussi dans la Bible une parole neuve qui récuse les soumissions aux dieux pervers. Le sacrifice perd son aspect de séduction de la divinité au profit d’une commensalité partagée. Manger ensemble, à la même table, Dieu et les humains, les humains les uns avec les autres. Le temple de Jérusalem va devenir l’abattoir national, si ce n’est nationaliste ! En monnayant l’accès aux viandes sacrifiées, il ratifie un ordre social injuste en sacrifiant l’équité à l’idée nationale. Les prophètes le dénonceront avec assez de vigueur. Mais demeure cette idée : construire un peuple autour d’une assiette vide. La nôtre, et celle d’un absent. Le sacrifice convie Dieu là où se dit le manque élémentaire. Dieu pourrait avoir faim…
Manque
Cette logique perdure dans les Écrits chrétiens. La Cène ne renvoie pas à une mort sacrificielle (pour amadouer la colère du Père !) Elle est signe, elle est annonce que Dieu n’est pas Celui qui aurait ce qui nous manque, et devant qui il faudrait s’appauvrir encore plus pour qu’il consente à nous gratifier de son surplus divin. « Vous annoncez la mort du Seigneur… » (1Co 11) et non sa surabondance. Ce qui fait communion, c’est la célébration d’un manque. Réjouissance commune que le Christ se donne dans le partage d’un manque vital. Incarnation de ce que Dieu n’est pas tel que nous l’imaginons : gavé et gavant. Il ne se donne que dans la trace d’un passage, ouvrant l’avenir : « jusqu’à ce qu’il vienne » (idem). Et il vient, chaque fois que le sacrifice fait un pas en arrière, pour nous renvoyer à notre humanité en manque … d’humanité. Chaque fois que le partage d’une pauvreté nous enrichit d’un élan (2 Co 8,8).