Quand, du fait des données de l’existence, un être dont la rencontre vous a introduite sur le chemin de la foi s’enfouit dans le silence comme dans une réclusion, vous vous demandez si l’amitié peut perdurer dans ces conditions. Je me suis interrogée sur cette question à travers l’écriture de deux recueils : Frère de silence et Nouaison, parus aux éditions Jas sauvages, et d’un essai : « Vous, vous êtes mes amis ». L’amitié dans le Nouveau Testament, publié chez Olivétan.

Dans cette recherche, les intuitions poétiques m’ont apporté beaucoup de bonheur, comme cette découverte d’un terme peu commun : nouaison, issu de la botanique ; il dit l’immatérialité glorieuse, gratuite, de la fructification des fleurs qui se saluent et communient entre elles, à distance. Mais l’amitié vaut bien, aussi, une longue méditation !

Chez les philosophes

De grands philosophes lui ont consacré du temps, comme Socrate qui dit avoir cherché un véritable ami toute sa vie, ou comme Cicéron qui conclut que la fréquentation d’un ami reste une joie, malgré le déchirement que peut causer sa mort. Aucun n’a de réponse rationnelle sur l’origine de ce phénomène : l’amitié naît-elle des similitudes ou des dissemblances entre les personnes ? Platon se rit du problème et approuve les poètes : « Ils nous disent que c’est Dieu lui-même qui crée les amis. » L’amitié, un « mystère »… C’est ainsi que Montaigne la qualifie.

J’ai beaucoup aimé suivre ces auteurs anciens dans leur quête et leur analyse de l’amitié ; ils perçoivent tous en elle des vertus spirituelles et elle leur inspire des phrases magnifiques d’élévation. Ainsi, pour Platon, l’idée accomplie de l’amitié nous fait connaître l’essence véritable du monde. Pour Cicéron, l’amitié « fait luire, pour l’avenir, la douceur d’une espérance » ; un ami relève l’autre dans ses incertitudes« rappelle son courage ». Alors l’amitié, c’est la foi et l’espérance…

En fait, Cicéron a tout compris de l’amitié parce qu’il parle latin. Il constate en effet que, dans cette langue, « c’est du mot amour que vient celui d’amitié et de là vient le principe d’une bienveillance conjointe. » Alors l’amitié, c’est la foi, l’espérance et l’amour !

Dans le Nouveau Testament

J’ai beaucoup aimé observer les auteurs du Nouveau Testament se colleter avec leur propre vocabulaire, grec, dans lequel l’amitié, philia, n’a aucun rapport étymologique avec l’amour, agapé. Dans ce cas, à quoi peut correspondre une amitié chrétienne ? Il leur reste à l’inventer, à partir du sens premier du terme philia, qui désigne toute forme de coopération pratique. Rien de très excitant pour l’esprit, a priori. Mais Luc et Jean, en particulier, sont très doués pour […]