En la prenant, le croyant affirme au monde son refus de la haine et sa soif d’un monde nouveau. La Cène est en soi un acte politique. Nous l’oublions souvent, pris par nos disputes théologiques habituelles… mais stériles. Par la foi en Christ, les frontières sont abolies : « vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. 28 Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. » (Galates 3,27-28) La Cène est fondamentalement accueil de l’autre tel qu’il est. En la célébrant, l’Église refuse toute exclusion : que ce soit pour des raisons d’origines sociales, d’âges, de handicap, de couleur de peau, de sexe ou de pratiques sexuelles. L’Église proclame au monde le souhait d’une société inclusive, à l’image même de la Cène.
Torture
La Cène est un acte politique également parce qu’elle dit non à tout ce qui défigure l’humain : la torture, la violence, le harcèlement moral ou physique, le viol… Sur la croix, Jésus a été crucifié. Dans le repas du Seigneur, l’Église se souvient de ce Messie crucifié par les hommes et ressuscité par Dieu. Sa résurrection assure que la vie sera plus forte que la mort, que l’amour sera toujours vainqueur face à la torture et à la barbarie. En célébrant la Cène, l’Église ne fait pas que dénoncer la violence étatique partout où elle sévit. Elle conforte les fidèles victimes de la torture ou terrifiés par elle. En offrant à chaque croyant les signes du Royaume, le Repas du Seigneur délivre les croyants des rôles que les systèmes gouvernementaux veulent leur faire jouer.
Il les libère de la peur et les fait participer à « l’imagination de Dieu », comme dit William Cavanaugh : l’imagination du Royaume.
Mondialisation
La Cène est un acte politique d’une troisième manière : elle proclame symboliquement que la consommation n’est pas le dernier mot de la vie. Puisque le Christ lui-même vient s’offrir dans ce repas, la Cène est un lieu de consommation à proprement parler qui échappe aux règles de la consommation consumériste. Le chrétien y expérimente le don. Plus : la nourriture qu’il prend lors de ce repas le transforme. Nourri du Christ lui-même, le chrétien devient « nourriture pour les autres ». C’est une conviction forte que partageaient déjà les Réformateurs, notamment Jean Calvin. Au cours du Repas du Seigneur était organisée à Genève une offrande : financière mais aussi matérielle (vêtements, nourriture…). Les diacres étaient alors chargés, au cours de la semaine, de redistribuer ces dons auprès des plus pauvres de la communauté.
William Cavanaugh suggère d’aller plus loin. Il propose de franchir les frontières de la simple communauté : si nous sommes nourriture pour le monde, « cela implique d’aller au-delà de nos propres communautés et de notre propre confort ». Le texte de Matthieu 25, où Jésus s’identifie aux pauvres et aux maltraités de nos sociétés, nous pousse à aller dans ce sens. Auprès de la « terre habitée » (sens du mot œcuménique). Une sorte de contre-mondialisation chrétienne…
Détachement
La Cène est politique pour une dernière raison. Constitué d’un morceau de pain et d’une gorgée de vin, le repas plaide pour une « sobriété heureuse ». Le croyant est invité à l’incarner dans sa vie de tous les jours en transformant ses lieux de vie en lieux de production (pain, légumes, yaourts…) et en affectant une partie de ses revenus au développement d’un commerce équitable (achat, investissement dans Oikocrédit…).