Les personnages en jeu
Le Psaume 83 fait référence à des événements décrits dans Juges :
– Siséra est le général que le roi Jabin, roi d’Hazor, a envoyé combattre Israël. En fuite, il demande à Yaël, femme de son allié hébreu Haber, de le cacher. Dès qu’il dort, Yaël prend un piquet de tente et le lui enfonce dans la tempe à l’aide d’un marteau (Jg 4,21).
– Oreb, en hébreu, signifie corbeau et Zeeb, loup… Ils sont des chefs de Madian, et affrontent les Hébreux. Ils sont vaincus, décapités, leurs têtes sont rapportées comme trophées au général hébreu Gédéon (Jg 7,23 et 8,3).
– Zébach est roi de Madian ; avec son général Tsalmunna, ils sont battus, capturés et exécutés par Gédéon (Jg 8,5-21).
Une nouvelle coalition se créant contre Israël, le psalmiste réclame à Dieu des actes de même nature contre les chefs et la dévastation par des incendies ou des ouragans contre les peuples. Il croit que, grâce à cela, ces gens comprendront qu’en attaquant Israël, ils s’attaquent à son Dieu, l’Éternel.
Ce psaume peut-il nous dire des choses pour nos vies d’aujourd’hui, 3000 ans après ?
Oui, parce qu’il lève le voile sur une réalité humaine un peu gênante : comme ces hommes de l’époque de David, nous pouvons être traversés par des pulsions d’une extrême violence. Chacune et chacun de nous peut l’avoir découvert à l’occasion d’une menace, d’une grande peur ou d’une humiliation : c’est là que naissent nos bouffées de détestation et de haine. Chacune et chacun d’entre nous peut avoir souhaité le pire pour un(des) autre(s). Oui, parce que depuis février dernier, un peuple et ses chefs nous apparaissent comme l’archétype du mal. En découvrant, à intervalles réguliers, les exactions des soldats et le cynisme des dirigeants, nous pouvons être dans la fureur ou dans la haine. Jusqu’à quel degré ? Pour rester « théologiquement corrects », dans notre Église au moins, nous évitons de demander à Dieu de se charger du sale boulot. Mais dès que nous quittons le culte, certaines pensées, certains commentaires, peuvent être du genre Psaume 83. C’est bien de notre humanité que parle ce psaume : notre humanité, avec la potentielle radicalité de sa violence.
Face à la violence, la radicalité de l’Amour
En face de cette radicalité latente, Jésus est venu poser sa propre radicalité : «Vous avez entendu qu’il a été dit : « Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. » Mais moi je vous dis : « Aimez vos ennemis [bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent] et priez pour ceux [qui vous maltraitent et] qui vous persécutent. » » (Matthieu 5,43-44 / Segond 21)
Les premiers chrétiens se sont approprié cette radicalité : une des conditions pour être admis dans l’Église primitive était d’abandonner le métier de soldat. Plus tard, Augustin d’Hippone et Thomas d’Aquin ont composé, en créant la notion de « guerre juste ». Depuis, le débat n’a jamais cessé dans nos Églises. Objecter ou composer ? Un chrétien peut-il se faire guerrier ?
Jésus ne parle pas en généralités : il ne nous dit pas s’il faut, ou ne faut pas, faire la guerre. Il nous parle à titre individuel, c’est sur nous qu’il veille, en nous commandant une attitude intérieure. Le pasteur Martin Luther King avait résumé très simplement cet impératif radical : « Don’t ever let anyone pull you so low as to hate them. » (« Ne laissez jamais personne vous rabaisser au point de le haïr. »).