Nous sommes aux environs de – 874-853 pendant le règne du roi Akhab et de la reine Jézabel en Israël.  Au début de notre récit, Akhab est contrarié car ses plans d’alliance avec son ennemi le roi d’Aram, Ben Hadad, viennent d’être déjoués par le prophète Élie au nom de la fidélité au Dieu d’Israël (1 Rois 20, 28 à 34). « Le roi d’Israël rentra chez lui, à Samarie, sombre et contrarié » (1 Rois 20, 43).

Si le roi n’est pas parvenu à faire valoir son autorité sur les affaires militaires et économiques de son royaume, au moins va-t-il parvenir à obtenir la vigne d’un dénommé Naboth qui jouxte son palais et ferait un très bon potager. Le roi veut exproprier Naboth en lui proposant une vigne de meilleur rendement ou une somme d’argent en échange de celle-ci.

Naboth refuse car c’est une terre qu’il a eue en héritage : « Que le Seigneur m’ait en abomination si je te cède l’héritage de mes pères » (1 Rois 21, 3). L’attachement à sa terre n’est pas uniquement sentimental mais théologique. « Les pères » évoquent à la fois une lignée biologique et symbolique. Dans ce lien d’héritage, c’est aussi de Dieu qu’il tient sa terre, s’il accepte l’échange proposé par le roi, il dépendra alors d’Akhab.

Pour la deuxième fois, quelqu’un conteste à Akhab son pouvoir de roi, au nom de la souveraineté divine. C’en est trop pour lui et il rentre dans une phase d’apathie.

« L’attachement à sa terre n’est pas uniquement sentimental mais théologique. »

Cette première partie du texte nous interroge sur la question de l’origine du pouvoir et de la place de chacun dans le monde. Les arguments d’Akhab peuvent être recevables car il ne se situe que dans sa propre rationalité, n’imaginant aucune réalité supérieure englobante. Il ne comprend pas, par exemple, que la présence de Naboth sur sa terre ne répond pas à une logique de rendement et que sa terre lui est nécessaire pour inscrire son identité dans le monde.

Si Akhab somatise et se résigne à cette blessure narcissique, il n’en va pas de même de sa femme, Jezabel, qui proteste de cet aveu d’impuissance : « Mais c’est toi qui exerces la royauté sur Israël »(1 Rois, 21,7). Elle oublie évidemment de se demander de qui précisément il tient cette royauté.

L’autonomie, plutôt que l’hétéronomie

Ce texte est un très bel exemple de ce que l’on pourrait nommer le conflit des nominations. Si Naboth reconnaît son impossibilité de céder sa vigne parce que quelqu’un d’autre l’a désigné sur cette vigne, Jezabel et Akhab, par contre, ne reconnaissent aucune désignation extérieure. Pour eux, l’exercice du pouvoir répond au seul critère de leur volonté.

C’est précisément à cause de cette conception totalitaire du pouvoir que Jezabel va pouvoir construire un plan machiavélique qui aboutira à la lapidation et à la mort de Naboth. Elle utilise les pouvoirs du roi pour convoquer un tribunal et faire faussement accuser Naboth d’avoir maudit Dieu et le roi.

Sans aucune culpabilité, elle peut maintenant dire au roi que Naboth est mort et qu’il peut s’emparer de sa vigne.

D’où vient précisément cette absence totale de culpabilité de la part de Jezabel ?

Parce qu’elle ne voit le monde qu’à travers son propre prisme ; parce qu’elle considère que l’identité de roi et de reine ne lui donne que des droits ; parce qu’elle instrumentalise Dieu et les Hommes. D’une manière générale, elle est dans un processus d’auto-justification.

Notre société aujourd’hui exalte l’autonomie du sujet et rejette l’hétéronomie comme la preuve d’une faiblesse honteuse, elle pousse ainsi à ne juger nos actions qu’à l’aune de notre propre satisfaction et à considérer la culpabilité comme une tare dont il faut se débarrasser.

La culpabilité n’est-elle pas une première étape dans la reconnaissance d’une part de notre fragilité et d’autre part de la conscience de la place de l’autre ?

Brice Deymié,

aumônier national des prisons à la FPF