Les religions vivent au quotidien la transmission, par un maître ou un dieu, d’un savoir, d’un enseignement, d’une révélation. À partir de ce socle et au fil de l’histoire se construit la communauté religieuse, avec ses rites et sa foi, qui évolue et se transforme au gré des différentes interprétations de ce terreau de base. Il n’y a qu’une exception dans ce panorama religieux : Paul de Tarse. L’apôtre ne transmet rien.

Paul naît entre 5 et 15 apr. J.-C. à Tarse (Turquie actuelle), dans une famille juive. Le livre des Actes, écrit par Luc, nous dit qu’il est l’élève d’un célèbre maître pharisien du nom de Gamaliel (Actes 22.1-3) et que son métier est de fabriquer des tentes (Actes 18.3). Tout d’abord, Paul persécute les chrétiens (Philippiens 3.6) : « J’étais tellement passionné que je persécutais l’Église. Et pour mener une vie conforme à sa volonté, prescrite par la Loi, j’étais devenu irréprochable. »

Luc nous raconte qu’un jour, alors qu’il se dirige vers Damas pour arrêter des chrétiens, Paul reçoit la révélation du Christ ressuscité qui lui demande de devenir son apôtre. À partir de ce moment-là, Paul, par ses écrits, révolutionne complètement la petite communauté des croyants.

L’apôtre Paul ne transmet aucun des enseignements de Jésus

Paul commence à écrire vers 50, bien avant le premier Évangile, rédigé par Marc dans les années soixante-dix. On ignore ce que Paul connaît de la vie de Jésus – a-t-il reçu une tradition orale à son sujet ? a-t-il lu des recueils de « paroles de Jésus » qui circulaient sans doute à cette époque dans la diaspora juive ? – mais on sait que Paul ne parle pas des événements de la vie du Christ. L’apôtre ne mentionne aucun de ses enseignements, n’évoque aucun de ses miracles, n’envisage pas sa naissance, ni ses parents. Paul résume sa position : « J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (1 Corinthiens 2.2).

Paul ne transmet rien de Jésus prédicateur, il proclame sa mort et sa résurrection. Cet événement fondateur s’inscrit dans l’histoire mais la dépasse immédiatement pour devenir universel ; il s’adresse à chaque homme et à chaque femme de cette terre.

Paul, militant de l’universalisme

Paul ne s’appuie pas sur un discours rationnel fondé sur un enseignement ou des faits avérés mais sur un événement subjectif : la résurrection du Christ qui atteste que le vieil homme peut mourir en nous et ressusciter dans la nouveauté du Christ, comme Paul l’a éprouvé sur le chemin de Damas.

Cette pensée existentielle profonde éclot dans l’épître aux Galates : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (Galates 3.28). Paul veut émanciper le message fondamental de la Résurrection de tout ancrage communautaire ou national. Il invente ici une figure subjective totalement absente de l’Antiquité, celle du militant de l’universalisme. Ce n’est pas en tant que Juif qu’il a reçu la révélation du Christ, mais en tant qu’humain. Elle est adressée à l’humanité tout entière.

Aujourd’hui, quand on annonce le message du Christ, on se réfère davantage à son enseignement – comme celui du Sermon sur la montagne – qu’à la proclamation paulinienne ; le religieux s’appuie sur une transmission des traditions et sur leur actualisation dans la communauté. La radicalité de la proclamation paulinienne peut en troubler plus d’un et ébranler bien des fondations.