L’histoire de Joseph, le fils préféré de Jacob, est relatée dans le livre de la Genèse, à partir du chapitre 37, et durant 13 chapitres. Invitation à relire cette saga familiale qui donne à découvrir l’apprentissage de la fraternité.
Détresses et réussites de Joseph
Les problèmes relationnels de Joseph avec ses frères découlent de la place privilégiée qu’il a auprès de son père. Exaspérés par ce petit fanfaron, ses frères vont s’en débarrasser en le vendant comme esclave, après avoir envisagé de le tuer. Or Joseph n’est pas dépourvu de qualités… Il est beau (Gn 39,9) et le Seigneur est avec lui : « Le Seigneur fut avec Joseph et lui accorda de la faveur » (Gn 39,23). Il réussit en Égypte dans la maison de Potiphar, mais accusé d’abus par la femme de ce dernier (Gn 39,11-20), il est jeté en prison ! Doué pour l’interprétation des rêves, il gagne la confiance de Pharaon et devient son intendant (Gn 41,40) ; il sauve l’Égypte et sa famille de la famine.
Une fraternité ratée
Les relations entre Joseph et ses frères sont mauvaises. Conséquence d’une fraternité fragilisée par la préférence du père qui favorise Joseph en le gardant auprès de lui, en lui offrant la plus belle tunique… Finalement, ses frères détestent Joseph (Gn 37,4).
Cette narration de l’histoire de Joseph pose la question de la fraternité et de son échec, mélange de favoritisme et de jalousie. Mais un père peut-il être juste, doit-il être le même, faire la même chose pour chacun de ses enfants ? Les frères ne s’enferment-ils pas eux-mêmes dans leur jalousie ?
Les difficultés sociétales modernes concernant l’être et l’avoir ne prennent-elles pas naissance dans le refus de la différence des statuts et des conditions ? Où est la frontière entre le désir de similarité et la jalousie ?
Les frères jaloux finissent pas tomber dans l’extrême, dans une violence excessive, en supprimant définitivement l’objet de leur malheur, afin d’en finir avec cette situation déséquilibrée et injuste à leurs yeux. Un scénario de destruction se précise. Mais Joseph ne mourra pas comme Abel, car la conscience d’un de ses frères détourne le scénario mortifère vers une humiliation : Joseph doit payer ses avantages. Il est vendu comme esclave, histoire de lui apprendre la vie, la vraie. On comprend que la fraternité ne découle pas naturellement des liens du sang ; l’impensable est réalisé, le frère gênant est symboliquement tué, disparaissant du champ de vue et de vie de ses frères.
L’apprentissage de la fraternité
Cependant l’histoire ne s’arrête pas là et rebondit, montrant comment la fraternité est restaurée. L’apprentissage de la fraternité commence avec la Parole ; celle du père avec la verbalisation de sa peine, lorsqu’il explique qu’il ne supporterait pas de perdre l’autre fils de sa défunte épouse Rachel. Cette parole permet une prise de conscience de la peine de la perte et de l’importance des liens, et par conséquent de la responsabilité à respecter l’engagement pris avec le père de ramener Benjamin sain et sauf. La fraternité devient respect du pacte contracté et d’autrui, désormais plus important que son propre ressenti.
La fraternité arrive à son apogée quand Juda propose de porter la faute de Benjamin, à la suite de la découverte de la coupe de Joseph dans le sac de Benjamin. Joseph comprend alors que ses frères ont changé (au moins Juda), car ils ne sont plus capables de faire du tort à leur père en abandonnant Benjamin. Ils sont solidaires et prêts à porter la faute non seulement avec lui mais à sa place ! La fraternité se révèle donc comme acceptation de la différence d’amour du père et protection du plus fragile, même si celui-ci a commis une faute.
Cette saga familiale nous offre à méditer sur la fraternité, sur l’acceptation des différences et sur le souci de l’autre, quel qu’il soit, à la fois préféré ou favorisé et aussi petit et vulnérable.
En effet, chacun de nous est à la fois favorisé, car aimé excessivement par notre Père, peut-être fanfaron, mais aussi toujours vulnérable. Pour autant, la parole du Père, son amour et la responsabilité qu’il nous donne sont premiers. Ils prennent la place du moi, de l’ego et de la jalousie : décentrement qui ressemble à une maturation, un passage à l’âge adulte. Par respect pour l’amour du père et de son alliance avec nous, l’engagement à protéger les frères et sœurs en difficulté se substitue au souci de soi. Autrement dit, devenir sensibles à cet amour du père et respecter l’alliance contractée avec lui, c’est consentir à prendre soin des plus petits.
Voilà comment l’histoire de Joseph peut nous amener à méditer sur le regard que l’on porte sur les autres, sur la convoitise, la jalousie mortifère et la fraternité. Un chemin pour accéder à une vie apaisée et confiante.