Avec la naissance des religions et du pouvoir politique, est apparu le crime de « blasphème » (du grec blaptein, léser, nuire, et phêmê, réputation). On remarque tout de suite l’imprécision du mot et son sens d’interprétation très large. Les mots doivent avoir un sens, et une définition précise, surtout lorsque qu’ils servent à tuer. Dans la logique du pire, on peut ainsi s’autoproclamer justicier de Dieu pour aller massacrer une rédaction (Charlie Hebdo) ou égorger un professeur (Samuel Paty)… La liste des victimes est déjà trop longue pour le XXIe siècle.
Même nos démocraties modernes dites « laïques » ont une peur « sacrée » (?!) du mot.
Alors qu’en Grèce, Italie et Irlande il existe un délit de blasphème au nom de la protection des vérités religieuses considérées comme sacrées (sic), la France « laïque », avec d’autres pays, tergiverse autour du mot. On ne parlera pas de « blasphème » mais « d’atteintes aux sentiments religieux et au respect des convictions intimes » (loi du 1er juillet 1972). Le résultat est le même : la liberté d’expression n’est pas/plus libre (bien que protégée par la loi de 1881 sur la liberté de la presse). Il suffira de se sentir blessé dans « le respect de ses convictions intimes » pour aller voir un juge. Les intégristes ne s’en privent pas.
Le blasphème contre le Saint-Esprit
Ah, faire justice à la place de Dieu, venger Dieu ! Quelle noble cause. Le Christ, comme il se doit, est d’un tout autre avis face aux pharisiens (qui réussiront quand même à le faire mettre à mort pour blasphème, cf. Matthieu 22).
Dans Matthieu 12,31-32, le Christ précise :
C’est pourquoi je vous dis : Tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne sera pas pardonné.
Quiconque parlera contre le Fils de l’homme, il lui sera pardonné, mais quiconque parlera contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir.
Voilà le vrai blasphème aux yeux de Dieu : faire fonctionner le dogme, les préjugés culturels, l’ignorance et la haine, avant même de réfléchir ou de laisser parler le Saint-Esprit. Mais attention, Jésus, lui, n’est pas contre la discussion, il ne vient pas pour créer un nouveau système d’où toute contestation serait exclue.
Mais vouloir récupérer le Christ pour lui faire dire ce qu’il n’a pas dit, l’enrôler de force dans une théologie qui ne vient pas de lui, c’est cela le blasphème contre le Saint-Esprit et de cela aucun chrétien n’en est à l’abri.
La Raison contre la passion aveugle
Notre civilisation, qui ne connaît plus l’Histoire et qui retourne à ses vieux démons, ne doit pas jouer avec les mots.
Car le blasphème est en fait un « crime » contre la religion, ses petits chefs, ses rites humains et sa volonté de contrôler tous les aspects de la vie et non pas contre le vrai Dieu, hors des calculs humains. Là est le vrai blasphème ; prétendre agir au nom de Dieu au mépris de ses commandements : « Tu ne prendras pas mon nom en vain. » (Exode 20,7)
Mais face à la folie des hommes, on pourra toujours réfléchir avec Montesquieu : « Le mal est venu de cette idée qu’il faut venger la divinité. Mais il faut faire honorer la divinité et ne la venger jamais. En effet si l’on se conduisait par cette dernière idée, quelle serait la fin des supplices ? Si les lois des hommes ont à venger un Être infini, elles se règleront sur son infinité, et non pas sur les faiblesses, sur les ignorances, sur les caprices de la nature humaine. » (Montesquieu, L’Esprit des lois, XII, 4).