Par Emmanuelle Mouyon, pasteure dans le Gers et dans le Comminges
Cette image de Dieu, comme toutes celles qui sont présentes dans l’Ancien et le Nouveau Testaments, nous permettent de déconstruire et de reconstruire sans cesse notre image de Dieu.
La violence est partout dans le texte biblique. Quelques exemples : Le Seigneur dit : « J’effacerai de la surface du sol l’homme que j’ai créé, homme, bestiaux, petites bêtes et même les oiseaux du ciel, car je me repens de les avoir faits. » (Gn. 6,7). Le Seigneur dit à Moïse : « Je vois ce peuple : eh bien ! c’est un peuple à la nuque raide ! Et maintenant laissemoi faire : que ma colère s’enflamme contre eux, je vais les supprimer et je ferai de toi une grande nation. »… Et le Seigneur frappa le peuple pour avoir fabriqué le veau, celui qu’Aaron avait fait. (Ex. 32,9-10 et 35).
La liste pourrait être bien longue des versets bibliques où nous lisons que Dieu provoque la mort, la souffrance, la destruction des êtres humains. Comment lire ces textes ? Où en est l’inspiration du Saint Esprit pour éclairer, guider ma vie ?
Le châtiment
Plusieurs interprétations sont proposées par les exégètes. La première est celle de la pédagogie : ne dit-on pas « qui aime bien châtie bien » ? Ces textes seraient des mises en garde ou les conséquences de mauvaises actions du peuple ou des humains concernés. Certains passages peuvent même être lus comme une juste punition d’actes répréhensibles et le rétablissement de la justice, sociale la plupart du temps. Face à une injustice humaine, Dieu rétablit la justice, protégeant toujours le plus faible. Une autre proposition explique ces textes par la jalousie (Ex. 20,5 « c’est moi le Seigneur, ton Dieu, un Dieu jaloux », même si maintenant les traductions préfèrent le mot exigeant dans ce verset à la place de jaloux) et nous savons tous, par expérience, combien la jalousie peut rendre violent. Une autre solution est de dire que les actions divines sont simplement calquées sur celles des hommes. Souvent nous imaginons Dieu pensant, vivant, agissant comme nous… Mais comment l’imaginer et le penser autrement ? La violence divine rapportée dans l’AT serait un reflet de la violence humaine, dans le but de nous faire réfléchir à nos propres actes et pensées. Enfin, dès le début du christianisme certains ont été tentés d’opposer le Dieu de l’AT, violent, à celui du Nouveau, aimant. Encore aujourd’hui, nous pouvons lire cela parfois. Ce peut être rassurant face à l’intégrisme et au fanatisme de se dire « nous ne pouvons pas y tomber, ce n’est pas notre Dieu ».
Penser à l’époque d’écriture
Il me semble avant tout qu’il faut réfléchir à qui a écrit ces textes : ce sont des hommes, à différentes époques, dans des contextes très variés. Les images de Dieu qu’ils proposent sont marquées par leurs contextes. Si souvent nous l’oublions et lisons la Bible comme un texte intemporel ! Notre Ancien Testament est une synthèse de témoignages qui reflètent les diverses tendances théologiques, les différentes expériences du peuple avec son Dieu. Tout cela à différentes époques. Imaginez une anthologie de textes théologiques de Martin Luther à aujourd’hui : il ne nous viendrait pas à l’esprit de les lire avec un même regard, sans réfléchir au contexte ou du moins à l’époque à laquelle ils ont été écrits. Cela est rendu difficile pour les textes bibliques car il n’y a pas de date de parution, ni de nom d’auteur, mais nous pouvons prendre du recul dans notre lecture. Par exemple en ce qui concerne la conquête du pays de Canaan (Josué 1-12) où Dieu est présenté comme un chef de guerre, commandant l’extermination des populations locales ou, au mieux, leur expulsion : l’hypothèse la plus vraisemblable est que ces chapitres aient été écrits au VIIe siècle avant JC, à l’époque où l’Assyrie occupait le pays promis. Il s’agit, en transposant le récit à une autre époque, de dire à qui sait le lire qu’aucun peuple n’a le droit d’occuper Canaan : ce pays est pour le peuple élu ; et Dieu, le Dieu d’Israël, est plus fort que les dieux des peuples voisins. Mais il est bon de se rappeler que l’AT ne se contente pas d’indiquer cette seule façon de prendre possession du pays. Il y a, dans la Genèse, une narration d’entrée en terre promise avec les Patriarches qui est pacifique. Ces deux ensembles de textes sont présents dans l’AT. Ces deux visions d’une même réalité y ont leur place.
Dieu est plus grand que nous
Nous pouvons aussi lire ces textes qui nous dérangent comme des marques, des indices qui nous rappellent que nous ne connaissons pas tout de Dieu, qu’il nous est bien impossible de le décrire ou de le définir en totalité. Les textes bibliques nous l’indiquent par quelques signes, qu’il nous faut savoir décrypter. Notre discours sur Dieu a des limites et la Bible nous le rappelle. Luther parlait du deus absconditus, le dieu caché, sur lequel je ne peux rien dire. N’avons-nous pas, trop souvent, des paroles et des images préconçues sur Dieu, des attentes qui nous conviennent, qui nous ressemblent ? Les auteurs bibliques ont aussi dû utiliser leurs propres représentations de Dieu. Dans la Bible, nous avons donc diverses « images », même si elles sont littéraires, et on comprend pourquoi les images sculptées de Dieu sont interdites car si réductrices, ne représentant qu’un aspect de l’être de celui qu’on appelle le Tout Autre. Cela ne contredit pas l’inspiration du Saint Esprit des auteurs bibliques mais cela nous rappelle que nos textes inspirés sont aussi des textes humains, qui utilisent des paroles humaines- heureusement car c’est ce qui nous permet de les comprendre ! – mais cela peut aussi les parasiter, d’où la nécessité d’une lecture approfondie.
Ne refusons pas de lire ces textes bibliques qui montrent un Dieu violent, vengeur : tout ce qui ne correspond pas à l’image d’amour et de pardon qu’on peut s’en faire. Rappelons-nous que nous n’avons que des images de lui, des représentations. En Jésus-Christ, Il s’est révélé, mais même là ce sont des textes écrits par des hommes qui nous le rapportent. Apprenons à mettre en tension ces diverses images. Dans l’Ancien Testament aussi nous voyons la tendresse et l’amour de Dieu pour les humains (juste un exemple : « Dieu de tendresse et de grâce, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité, qui garde son amour à des milliers » Ex. 34,6). L’étude de la Bible est à faire et à refaire, pour travailler aussi sur les représentations que nous nous faisons de Dieu. À travers les différentes images de Dieu proposées dans les textes bibliques, ce sont les nôtres que nous voyons et que nous apprenons à relativiser. Dieu s’offre à nous à travers notre humanité et son imperfection, c’est cela qui le rend proche de nous.