Sortir des sentiers battus Le parabole du « bon Samaritain » est connue. Nous l’avons tous lue ou entendue des dizaines de fois… Mais, souvent, dans notre lecture, nous ne prêtons peut-être pas assez attention à certains détails qui peuvent orienter différemment notre compréhension. D’abord, le spécialiste de la Loi vient vers Jésus pour le « mettre à l’épreuve ». Le verbe est rare. Littéralement, il signifie « tenter de faire sortir de… », ekreirazo en grec. Et si ce spécialiste de la Loi tentait de faire sortir Jésus de la Loi ? Si le légiste ne tentait pas tant de piéger Jésus que de le faire accoucher d’une parole qui va plus loin ? D’ailleurs, ce spécialiste de la Loi donnera tranquillement la « bonne » réponse à sa propre question. Un résumé de la Loi qui était probablement largement connu à l’époque du Christ.
Sa question n’est donc pas sournoise : il souhaite que Jésus sorte des sentiers battus, des réponses que, lui, le spécialiste de la Loi, connaît par cœur ; qu’il sorte peut-être même de la rigidité de la Loi, de son impératif, de sa froideur. Et si, quand quelqu’un nous questionnait (sur le début de la vie, sa fin, le statut de l’embryon, l’intelligence artificielle…), il nous attendait là aussi ? Non pas tant dans les réponses toutes faites, dans les catéchismes appris par cœur (très rassurants pour nous) mais dans les réponses originales qui nouent ensemble ces sujets, la foi en Christ et les Écritures ? L’Évangile dont nous témoignons doit s’incarner dans un aujourd’hui, résonner dans le concret des hommes et des femmes que nous rencontrons. Devenir proches La parabole racontée par Jésus répond aux attentes du légiste. Elle renverse les pratiques de l’époque.
Alors que, en contexte juif, le frère, le prochain, c’était celui qui faisait partie du même groupe, du même parti que vous, Jésus bouleverse les frontières. Le prochain, ce n’est plus l’autre mais moi, au moment même où j’aide ! Nous devons nous souvenir de cela. Nous n’avons pas à discerner des prochains mais à vivre la proximité et la fraternité. De manière originale, d’après ce que dit Jésus à la fin de la parabole : « Va et fais de même ». Entendons bien cette parole : « Fais de même ». Il ne dit pas : « Fais ce que le Samaritain a fait » mais « fais de même ». Que son geste t’inspire ! Fidèlement aux attentes premières du légiste, Jésus l’invite à quitter les réponses apprises, catéchisées, dogmatisées par la Loi. Et, au-delà du légiste, c’est une invitation que Jésus adresse à chacun de nous. Dans le contexte qui est le nôtre, aujourd’hui, il nous appelle à être avec nos forces et nos faiblesses, des prochains pour ceux qui en ont besoin.
Texte biblique
« Et voici qu’un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : « Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ? » Jésus lui dit : « Dans la Loi qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ? » Il lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » Jésus lui dit : « Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie. » Mais lui, voulant montrer sa justice, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l’ayant dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. Il se trouva qu’un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l’homme et passa à bonne distance. Un Lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l’homme et passa à bonne distance. Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l’homme : il le vit et fut pris de pitié. Il s’approcha, banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui. Le lendemain, tirant deux pièces d’argent, il les donna à l’aubergiste et lui dit : « Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c’est moi qui te le rembourserai quand je repasserai. « Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ? » Le légiste répondit : « C’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui. » Jésus lui dit : « Va et, toi aussi, fais de même. » »
Présentation du livre
Luc est l’auteur de deux écrits dans le Nouveau Testament, l’Évangile de Luc et le livre des Actes des Apôtres. C’est un compagnon de Paul. Sans doute médecin païen, d’origine grecque. Il est cultivé. Son langage est particulièrement soigné. Si Matthieu écrit pour un lectorat juif, Luc, lu i, é c r it plutôt p ou r u n public hellénisé, cultivé. Son Évangile est particulièrement « universaliste ». Il s’émancipe du particularisme juif. La généalogie du Sauveur, par exemple, n’a pas pour ancêtre principal Abraham, le père du peuple élu, comme dans Matthieu, mais Adam, le père de l’humanité. Et Luc ne reprend pas l’ordre de Jésus de ne point aller vers les Grecs et de n’entrer dans aucune ville des Samaritains (Matthieu 10,5). À l’opposé, les Samaritains occupent une place de choix dans son Évangile, comme le montre la parabole que nous avons choisie.