Le premier récit de création est assez descriptif : il raconte que Dieu créa le monde et ce qu’il contient en six jours, et se reposa le septième. Le deuxième récit est plus narratif, il est question du fameux paradis terrestre, de l’arbre défendu, de la transgression d’Adam et Ève ; il se termine par leur expulsion du jardin d’Éden. Ces deux récits, à la tonalité fort différente, ne datent pas de la même période. On s’accorde pour dire que le deuxième récit est le plus ancien. Focalisonsnous sur la création de l’homme et de la femme.

Dieu assigne aux deux sexes les mêmes fonctions

Dans le premier récit, Dieu met de l’ordre dans le chaos initial, tohu-wabohu en hébreu, qui exprime l’idée de dévastation et de vide. Il crée en séparant le ciel de la terre, la lumière des ténèbres, le sec du mouillé. Il crée les plantes et les espèces vivantes et finit par la création de l’humain. Seule espèce au monde à avoir été créée sexuée. Le texte joue sur le singulier et le pluriel : « Dieu créa l’homme (adam) à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle (zakar) et femelle (neqebah) il les créa1 . » Dieu assigne à l’un et à l’autre sexe les mêmes fonctions : se reproduire et dominer la terre. L’humain a quelque chose de spécifique ici, il est inachevé car son devenir est lié à une tâche à accomplir : maîtriser la nature.

Pour Adam, la femme est un autre lui-même

Le deuxième récit de création est très différent et beaucoup plus polémique. Des siècles de lecture masculine de ce texte ont étayé la justification biblique de la domination de l’homme sur la femme. Mais, à y voir de plus près, les relations entre l’homme et la femme sont ici plus subtilement décrites qu’il n’y paraît. L’humain est créé premièrement. Il est créé indifférencié, c’est-à-dire ni homme, ni femme. Dieu prend de la terre du sol (adama) et donne à cette terre primordiale « un souffle de vie » pour créer l’humain (adam). Puis Dieu crée un jardin luxuriant, y plante « l’arbre de la connaissance » et interdit à l’homme d’en manger les fruits.

Vient ensuite la question de créer une « aide » pour l’homme. Les animaux ne rempliront pas cette tâche. La femme, son alter, est conçue à partir de sa côte : l’homme n’est plus adam mais ish dont sortira isha, sa femme. Que la femme soit tirée de la côte de l’homme ne prouve pas que l’auteur ait voulu exprimer l’infériorité d’Isha par rapport à Ish, pas plus qu’Adam tiré de la terre n’est inférieur à Ève. De même, le terme hébreu traduit par « aide » ne signifie nullement « domestique  », au contraire : dans la Bible, ce terme, ezer, est utilisé pour désigner l’aide que Dieu apporte aux hommes.

Quand l’homme nomme la femme, au regard de la littérature antique, nommer, c’est dominer. Pourtant, ce n’est plus Adam qui nomme mais ish, et il la nomme isha. L’accent du récit ne porte pas ici sur l’imposition d’un nom mais plutôt sur la similitude des noms traduisant la similitude des personnes. Pour Adam, la femme est un autre lui-même. De ces deux récits placés en tête de la Bible pour dire l’humain et la Terre, aucune vérité dogmatique ne surgit ; même les compilateurs du texte biblique n’ont pas craint qu’ils se contredisent. Ils relèvent d’une vision historiquement et culturellement située. Ces textes ne prétendent nullement synthétiser ce que la Bible dit de la Création et de l’humain. Ils mettent en scène l’altérité, c’est-à-dire comment percevoir et comprendre ce qui n’est pas moi.

Brice Deymié, pasteur de l’Église protestante française au Liban