Les événements de Pâques sont évoqués par plusieurs récits différents du Nouveau Testament. Derrière les différences, est-ce qu’on trouve une compréhension commune de ces événements ?
François Vouga – On constate des interprétations différentes entre les auteurs. Mais ce qu’on retrouve chez chacun d’eux, c’est que Pâques, c’est la révélation ou la proclamation que Jésus le crucifié est vivant. Ce qu’on trouve dans le Nouveau Testament, ce ne sont d’ailleurs pas des récits de la résurrection de Jésus elle-même, mais des témoignages de ses apparitions en tant que vivant ou des récits de la bonne nouvelle qu’il est le vivant. Annonce par le jeune homme chez Marc, par l’Ange chez Matthieu ou par les deux témoins chez Luc. À Pâques, on célèbre les apparitions du Crucifié comme celui qui est vivant.
Comment cette affirmation centrale se traduit-elle chez Paul, le plus ancien des auteurs que l’on trouve dans le Nouveau Testament ?
– Chez Paul, ce qui est tout à fait clair, c’est qu’avec cet événement de Pâques, on se trouve dans une logique de la réhabilitation du crucifié, ce qui invite à un changement d’image de Dieu. Dieu a révélé le Crucifié comme son Fils. Le Dieu de Pâques n’est pas du côté de la recherche d’identité dans la Loi, mais il est du côté de ce transgresseur qui mangeait et buvait avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs. Donc, au fond, l’homme de Nazareth qui a accueilli les personnes comme personnes, indépendamment de leur origine, de leur métier, de leur classe sociale ou de leur appartenance, et qui a été condamné pour son attitude provocatrice à l’égard des idéaux de perfection est révélé comme étant le Fils. Ce changement de l’image de Dieu signifie pour Paul un changement de l’image de l’être humain. J’aime cette Pensée de Pascal qui distingue la personne de ses qualités. Dieu rencontre les personnes, pas leurs qualités.
Est-ce qu’à partir de Paul, on retrouve chez les autres auteurs une évolution dans la compréhension de l’événement pascal ?
– Je ne sais pas s’il faut parler d’une évolution. Je dirais qu’on a des réécritures. On ne peut pas simplement répéter les choses ; la situation change ou le cadre culturel change. C’est très intéressant chez Marc, parce que le récit de Pâques est le seul grand récit de l’évangile où Jésus n’apparaît pas, à part le récit de la passion de Jean-Baptiste. Il n’apparaît pas, parce qu’il a rendez-vous ailleurs. Le guide qui se trouve dans le tombeau vide explique aux femmes qu’il ne peut pas être là parce qu’il a rendez-vous en Galilée. Au fond, c’est très moderne ; où se trouve la Galilée et avec qui il a rendez-vous en Galilée, cela reste très ouvert… probablement que nous sommes en Galilée ! La présence qui a été la sienne dans l’évangile de Marc – donc la Galilée, en particulier – se poursuivra en son absence après qu’il ait fait don de sa vie et au moment où les disciples l’y rejoindront. Dans l’évangile de Marc, on est très proche de ce qu’écrit Paul. Marc nous a appris que « celui qui veut sauver sa vie la perdra et celui qui reçoit sa vie comme un don et en fait don la sauvera. » C’est ce que Jésus a fait de manière exemplaire et cet esprit de libération se poursuit après Pâques.
Luc est moins un poète que Marc, c’est un narrateur : il raconte. Ce qui fait l’histoire, c’est le détail et la matérialité du détail. Alors, pour Luc, la question qui se pose à Pâques, c’est celle du corps. On voit que la question du corps est le thème qui fait la continuité chez lui. Ce que les femmes découvrent et apprennent au tombeau, c’est que le corps n’est pas là parce que Jésus est vivant.
Ensuite, on a le chassé-croisé d’Emmaüs. Luc nous dit que quand Jésus marche à côté d’eux, les disciples ont les yeux qui ont été fermés et qu’ils ont été empêchés de le voir. En revanche, il est clair qu’il marche avec eux lorsqu’ils retournent à Jérusalem et qu’il a disparu. Si Jésus est le Vivant, universellement, alors il ne peut être arraisonné ni dans un corps, ni dans un cadavre, ni dans des reliques. Donc, il est présent quand on ne le voit pas, mais il est absent quand on essaie de l’arrêter dans un lieu ou un moment précis. On passerait alors à côté du sens de Pâques. La question du corps reste néanmoins une préoccupation pour Luc ; il ne faudrait pas que Jésus vivant soit considéré comme un fantôme… D’où le récit de l’apparition aux Onze où Jésus partage le poisson au miel des disciples. Ce qui fait que nous nous reconnaissons et que nous avons une identité qui nous est propre, c’est bien notre corps !
Une interprétation que l’on retrouve chez Jean, dans le récit autour de Thomas ?
– Pour Jean, la question est plutôt celle du temps, des « disciples de seconde main de la résurrection ». Thomas est le destinataire de la mission des disciples, mais c’est un personnage seuil, parce qu’il a la même condition que nous d’être disciple de seconde main. Le fait que ce disciple de seconde main puisse « voir et croire » nous ouvre la route. C’est la question de la contemporanéité : pouvons-nous devenir les contemporains de Jésus ? Après la question « quand ? » se pose la question « où ? » Alors, Jean poursuit par un chapitre avec deux personnages qui se complètent. Il y a Pierre qui porte la responsabilité de l’unité (« pais mes brebis, pais mes agneaux ») et le disciple que Jésus aimait, qui est le garant de la confiance qu’il lui a été donné d’avoir. Ce n’est pas le disciple bien-aimé (ce qui en français évoque plutôt un chouchou), c’est le disciple que Jésus aimait, c’est-à-dire celui à qui il s’est révélé. Il témoigne donc d’une qualité de révélation, d’une qualité de connaissance.
Qu’en est-il du premier évangile, que nous n’avons pas encore abordé ?
– Ce qui est posé dans les récits de Pâques chez Matthieu, c’est l’apparition de l’Emmanuel comme Seigneur universel : « Toute autorité m’a été donnée au ciel et sur la terre… de toutes les nations, faites des disciples… » Pâques apparaît comme la révélation d’une seigneurie universelle, thématique qu’on va retrouver dans l’épître des Éphésiens, par exemple. C’est sans doute important à entendre, à nouveau aujourd’hui, cette dénationalisation…
Au fond, qu’est-ce qui fait révélation pour ces auteurs ? Est-ce la Croix ou est-ce Pâques ?
– Au matin de Pâques, on situe les apparitions du crucifié et la proclamation que le crucifié est vivant, donc on ne peut pas détacher ces récits de la crucifixion elle-même. C’est déjà clair dans le vocabulaire employé. Par exemple, quand Paul parle de la Croix, il ne parle pas de la mort de Jésus. Il parle de la révélation du crucifié comme Fils. Il en parle comme d’une parole de changement, c’est ça la Bonne Nouvelle ! Si on prend l’évangile de Jean, on voit que la mort de Jésus est déjà en elle-même révélation de celui-ci comme Fils, d’où l’insistance sur l’élévation, la Croix comme retour vers le Père, la glorification… c’est-à-dire Pâques, déjà.