Élie est en fuite devant le roi Achab qui veut le tuer et arrive ainsi à Sarepta, non loin de Sidon dans l’actuel Liban. Une première frontière est passée : le voici à l’étranger. Mais c’est loin d’être la seule frontière qu’Élie va passer dans ce récit plein de rebondissements. Il y a les frontières du possible qui sont franchies dans les deux miracles racontés : devant la menace de mort que représente la famine la « farine ne va pas manquer dans la jarre ni l’huile dans le pot jusqu’au jour où Dieu fera pleuvoir à nouveau » (1 R 17, 14).

Mais le fils de la veuve meurt malgré ce premier miracle et Élie cette fois-ci abolira la frontière de la mort elle-même : « Le Seigneur exauça la prière d’Élie : il rendit la vie à l’enfant, qui se remit à respirer » (v 20). Oui, Élie vit là une expérience bien déroutante : lui, le prophète tonitruant qui s’oppose avec force à un roi qui oublie IHWH, le lutteur de Dieu, doit ici prendre la figure d’un suppliant : « Seigneur mon Dieu, je t’en supplie, rends la vie à cet enfant ! ». Et, ce qui n’est pas le moindre passage de frontière : la femme étrangère finit par confesser que le Dieu d’Israël est le vrai Dieu : « la parole de l’Éternel dans ta bouche est la vérité ». Chaque personne dans ce récit passe ainsi de multiples frontières dans des cheminements qui vont tous révéler la bonté et la grandeur de l’Éternel. C’est quasiment le même voyage que fera Jésus quelques siècles plus tard. Lui aussi fera ce chemin, seul, à l’étranger. Et comme par hasard Marc place cet épisode au milieu de son Évangile. Ce sera un long périple qui le mènera vers le nord, entre autres à Tyr et Sidon, là justement où s’était réfugié Élie, puis la Décapole, Césarée de Philippe et la Galilée. Jésus voudrait avoir la paix : après la période de l’accueil enthousiaste est venu le temps de l’interrogation, celle des Pharisiens, mais aussi la question qu’il posera lui-même à ses disciples : « Qui dites-vous que je suis ? »

Voyage décisif 

Car c’est bien ça qui est central, pour lui, pour les disciples et ultimement pour nous les lecteurs de l’Évangile. Voyage décisif où pour la première fois quelqu’un confessera : « Tu es le Christ. » (Mc 8,29). En passant la frontière, Jésus apprend aussi qu’il n’est pas venu uniquement pour les enfants d’Israël. Face à la femme syro-phénicienne qui lui rétorque que les chiens (c’est-à-dire les non-Juifs) ont le droit de manger les miettes qui tombent de la table (Mc 7,28), Jésus ne peut que lui donner raison et reconnaître la force de sa foi.

On pourrait dire que cette femme étrangère aide Jésus à dépasser la frontière de sa compréhension trop étriquée de sa mission. Grâce à elle, il prend conscience que cette mission est universelle. Mais cette prise de conscience sera douloureuse : selon Matthieu, Jésus a répondu d’abord à cette mère éplorée : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » (Mt 16,24) La frontière est abolie : le salut est destiné à tous, sans exception. C’est quelque chose que nous ne devrions jamais perdre de vue. Par notre nature humaine, nous avons tendance à rester entre nous, bien au chaud avec ceux que nous connaissons. La Bible nous dit autre chose : la place de l’étranger est parmi nous, au même titre que nous il a droit au pain, à la guérison, à la parole qui redresse, au salut offert par Dieu. Avec le Christ, dépassons les frontières !