Le récit de la Genèse, au chapitre 1, procède à une répartition végétarienne de la nourriture. Aux humains et aux animaux sont assignés des végétaux. Mais différents végétaux ! Alors que les animaux se nourrissent des herbes vertes (la « verdure d’herbe », comprenant peut-être le vert des carottes et des plantes…), à l’humain sont donnés les « herbes semant des semences » (probablement les céréales) et les fruits. L’insistance est mise sur la reproduction comme s’il incombait à l’homme de ne pas épuiser la terre, de veiller à la biodiversité. L’auteur de la Genèse refuse pour l’humanité toute nourriture carnée. Mais devant la sauvagerie de l’humain, manifeste dans l’épisode de Caïn et Abel, et qui se multiplie dans la suite, la répartition végétarienne va être revue et corrigée.
Cette correction aura lieu au moment du Déluge : « Le Seigneur vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre […] et le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea et dit : « J’effacerai de la surface du sol l’homme que j’ai créé, […] » Mais Noé trouva grâce aux yeux du Seigneur. […] Il suivit les voies de Dieu […] La terre s’était corrompue devant Dieu et s’était remplie de violence. Dieu regarda la terre et la vit corrompue, car toute chair avait perverti son chemin sur la terre » (Gn 6,5-12).
Cette dernière expression, expliquant la violence des hommes (« car »), est souvent passée inaperçue. C’est le mérite d’A. Wénin d’avoir su en souligner toute l’importance. Qu’est-ce en effet que cette voie, ce chemin détruit par les humains ? Le mot « chemin » en hébreu, dérèk, désigne fréquemment, au sens figuré, la « conduite » des humains, leur comportement éthique. D’où la question : où, dans les pages qui précèdent, « toute chair » se voit-elle proposer un chemin, une conduite « éthique » ? Où Dieu suggère-t-il un comportement aux humains ? L’exégète belge pense que c’est quand il leur a proposé la nourriture végétale. Ce chemin symbolisait la douceur dans laquelle l’humanité devait s’engager pour construire et vivre dans un espace pacifié. Un chemin qui symbolisait également sa reconnaissance de l’autre, quel qu’il soit, sa volonté de lui faire une place dans le monde tout autant que son renoncement à se placer au centre du monde.
Après le Déluge, Dieu repense le « chemin » éthique de l’humain. En effet, l’humain devient alors le prédateur des animaux (qui craignent de lui servir de nourriture) et leur rival (il peut manger leur nourriture). Dieu fait une place limitée à la violence (la consommation du sang est interdite) en espérant probablement que cette concession permette à l’humain d’assouvir son « animalité » (Gn 4), de faire cesser les violences intrahumaines et de faire advenir l’humain à l’image de Dieu. Passé et présent nous montrent qu’il n’en est rien. Christ seul peut réussir ce chemin.