Par Élisabeth Brinkman, pasteure à Brive
« Pilate lui dit : Qu’est-ce la vérité ? »
Ce n’est pas la première fois que ce mot, vérité, surgit dans l’évangile de Jean. C’est même un des livres bibliques qui utilise le plus souvent ce mot. Pa r exemple en Jean 8,31-32 : « Jésus, donc, disait aux Juifs qui avaient mis leur foi en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » » Ou en Jean 14,6 : « Jésus lui dit : « C’est moi qui suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne vient au Père sinon par moi. » »
La vérité n’est pas quelque chose d’objectif et la question de Pilate n’est pas anodine. En fait, il pose une question que nous portons tous en nous : quelle est la vérité qui me conduit, quelle est la boussole de ma vie ? Qu’est-ce qui donne sens à ma vie et me met en marche ?
Nous sommes parfois pétris de vérités : nous croyons savoir, nous croyons avoir raison, nous croyons posséder et cela nous enferme alors dans des certitudes dont nous n’arrivons plus à sortir.
Il y a des vérités qui font mourir
Prenons les vérités du Sanhédrin et de Pilate. Les prêtres du Sanhédrin ont peur : peur de perdre le peu de pouvoir qu’il leur reste sous le régime romain. Et peur de perdre la main sur le rituel du temple, sur les commandements parfois tellement subtils qu’il leur faut des journées de débat pour trouver une solution. C’est ça que Jésus est venu perturber : cette tranquillité de pouvoir composer avec un pouvoir étranger et cette interrogation sur ce qui est le plus important : la lettre de la loi ou l’esprit ? La vérité du Sanhédrin consiste à constater que Jésus a blasphémé en s’attaquant au Temple. Qui s’attaque au Temple s’attaque à Dieu, qui s’attaque à Dieu mérite la mort. Et c’est pour cette raison qu’ils souhaitent faire mettre Jésus à mort, en invoquant un mensonge : « si cet individu n’était pas malfaisant, nous ne l’aurions pas livré » (Jn 18,30). C’est tout cela qui constitue leur vérité et ils sont prêts à faire mourir un homme pour cette raison-là.
Et la vérité de Pilate ? Elle est politique : c’est celle de la paix romaine. Quiconque trouble la paix publique s’en prend à l’État romain, quiconque s’en prend à l’État romain offense l’empereur, quiconque offense l’empereur mérite la mort. Lui, l’homme de main d’Hérode, ne peut pas se permettre que la population de Jérusalem se révolte et mette en danger sa carrière. Et donc il va céder devant la pression du Sanhédrin et du peuple qu’ils ont réussi à exciter. Il essaie bien de se défiler, mais son cœur n’y est pas. Il pose des questions à ce Jésus dont il ne comprend qu’une seule chose : qu’il n’y a pas de mal en lui. Et, lâchement, il fuit devant sa propre question : qu’est-ce que la vérité ? La vérité politique de Pilate est également une vérité qui mène à la mort.
Alors, est-ce qu’il existe une vérité ?
Le récit de Jésus devant Pilate, si court mais si dense, nous dit plusieurs choses. D’abord que Jésus vient exposer nos soi-disant vérités comme des mensonges ou des arrangements qui profitent à notre intérêt. Il vient exposer que nos vérités, même si nous sommes sincères en les énonçant, ne sont que partielles voire partiales car elles ne traduisent que notre propre point de vue. Même ou surtout si nous y appliquons le vernis de l’absolu. On le voit bien à la fois avec l’attitude du Sanhédrin et avec celui de Pilate : ces deux logiques mènent finalement à la mort d’un homme.
La vérité qui fait vivre
Jésus présente une autre vérité : celle qui mène vers la vie, par lui. Christ vient révéler en nous ce qui est mortifère, ce qui empêche de vivre et ce qui exclut l’autre.
Si Jésus nous dit qu’il est le chemin, la vérité et la vie, il nous propose un choix. Tout comme le Deutéronomiste en Dt 30, il nous dit : « Je mets devant toi la vie et la mort, choisis ce qui te fait vivre. » La vérité du Christ est donc de reconnaitre en l’autre un enfant de Dieu, tout comme je suis appelé·e à l’être. La vérité est de renvoyer libre celle qui était accusée d’adultère : « Que celui parmi vous qui est sans péché lui jette la première pierre ! » et du coup il n’y a plus personne.
« La vérité vous rendra libres », nous dit Jésus (Jn 8). Libres de toutes ces soi-disant vérités qui nous entourent et nous enferment. Libres de faire nos choix, en nous accordant au mieux de notre possible à ce que Dieu projette pour nous et pour notre monde.