Nous considérons souvent que l’entrée et la sortie sont la même chose. Une porte traversée dans un sens ou dans l’autre. Mais est-ce toujours ainsi ? Dans la vie, naître, sortir de l’enfance, sortir d’un dilemme, voilà des sorties qui ne correspondent à aucune entrée. Certaines sorties, qui ne sont pas des entrées, marquent les peuples. La « sortie d’Égypte » fut fondatrice pour le peuple hébreu. Quelle fut au juste cette sortie ?

Surnager ou plonger

L’Égypte antique avait une pensée sur la « sortie ». Le Livre des morts se présente comme la sortie du monde des ténèbres vers le monde de la lumière. Les tombes égyptiennes étaient pensées comme des « sorties ». Elles préparaient une procession pour un bateau qui passait de porte en porte. On a retrouvé des bateaux enfouis près des tombes, ils avaient servi à porter les morts pour traverser le Nil et passer de la rive des vivants (Est) à la rive des morts (Ouest). La chambre funéraire était la vraie maison du défunt, éternelle contrairement aux habitations temporaires, et il pouvait encore, de là, voyager en barque dans le ciel. Le tombeau égyptien construit donc un chemin de sortie où l’être humain surnage et où il voyage seul, avec ses richesses, jusqu’à sa vraie maison. L’Égypte antique avait inventé une architecture qui « fait sortir ». Le récit de l’Exode peut se lire en contrepoint avec elle. La sortie d’Égypte consistera pour le peuple hébreu à marcher dans une forme de procession certes, mais sur un chemin non tracé, à plonger dans le danger, la mer (d’Ouest en Est), le désert, la précarité pendant 40 ans, en trouvant non pas la mort mais la vie, des frères et des sœurs au coude à coude, une loi pour rester libre, et enfin non pas une maison solitaire et éternelle mais un pays à partager. L’Égypte a construit ses sorties, nous pouvons encore les visiter, ce sont des temples et des tombeaux. La sortie des Hébreux ne laissa aucune trace.

Confiance et responsabilité

Cette sortie demanda la confiance en Dieu : au pied du mur il nous ouvre une brèche, dans le désert, il est là. « Je suis l’Éternel ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » (Exode 20.2). Non seulement Dieu attache cette sortie à son nom, mais il me semble encore que, désormais, il répond du coup responsable des servitudes qui ont eu le dernier mot, du mal irrémédiable où il n’est pas intervenu, où il n’a pas fait sortir, des moments où il n’a pas été là. Ainsi la théologienne protestante Françoise Smyth écrit : « Le corpus biblique est peut-être lisible comme le récit d’un parcours où Dieu répond du mal qu’il fait à chacun, et ne se justifie que dans la mesure où ses œuvres le justifient. C’est un parcours inévitable pour passer du dieu multiple à l’unique, celui qui assume, aussi, la souffrance et dresse chacun de ses sujets en sujet responsable à son tour de son frère et de lui-même. »