Depuis la douzaine d’enfants de Jacob, nés de quatre femmes, jusqu’à la maternité mystérieuse de Marie, en passant par le trio Abraham-Agar-Sara ou les femmes stériles 1 qui ont étonnamment enfanté des personnages majeurs, il y a bien des manières de devenir parents dans la Bible ! Les Écritures ne sont pas un livre de pédagogie ou de psychologie parentales, même si le cas de la naissance de Caïn et Abel constituerait un excellent sujet d’étude psychanalytique ! Caïn était pour sa mère un « homme produit avec le Seigneur » et Abel pas plus important qu’un nuage de vapeur…
Une paternité radicale : Abraham et Isaac
Parmi les textes bibliques les plus étonnants au sujet de la paternité, la ligature d’Isaac au chapitre XXII de la Genèse atteint des sommets. Le lecteur est toujours stupéfait de la foi d’Abraham, prêt à tout, et même à sacrifier son fils Isaac, pour faire ce que Dieu lui demande. Dans ce récit, Abraham est face à un dilemme de la parentalité : ne pas obéir à Dieu et refuser de sacrifier son fils ou répondre à la demande du Seigneur et accepter de réaliser ce geste fou qui consiste à rendre à Dieu ce qu’Il a lui-même donné.
Dans le premier cas, si Abraham « garde son fils pour lui » en le privant d’un avenir personnel sur le chemin que Dieu lui a tracé, alors Isaac est réellement sacrifié sur l’autel de la possession abusive. Dans le second cas, en liant Isaac pour l’offrir à Dieu, Abraham le délie en réalité et lui ouvre une vie de liberté.
Le premier Père : Dieu
Une des particularités de la Bible, et ainsi des religions juive et chrétienne, est de qualifier Dieu de « Père ». La tradition chrétienne a complexifié cette disposition en évoquant un Dieu Père et Fils : « Toutes choses m’ont été données par mon Père, et personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père ; personne non plus ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler 2. » Pourtant ce lien est majeur car il reconnaît ce qui fonde notre rapport à Dieu, un Dieu proche sur le sein duquel nous pouvons nous reposer, un Dieu qui fait preuve d’un amour inconditionnel. Un Dieu qui dit à Jésus et à chacun de nous : « Tu es mon fils bien-aimé, c’est en toi que je trouve ma joie 3. » Un Dieu que Paul n’hésite pas à appeler « papa » en araméen parce qu’ll a envoyé dans le cœur de ses enfants l’Esprit de son Fils qui crie : « Abba ! Père 4 ! »
C’est d’ailleurs ce Père que nous appelons chaque fois que nous nous nous adressons à lui dans le Notre Père 5. Ce Père a souvent des traits de mère : Il se compare à une femme qui allaite. Quand bien même une femme oublierait l’enfant qu’elle allaite, lui ne nous oubliera jamais6. Qui est ma mère ? Dans les Évangiles, une scène peut nous surprendre. Jésus est interpellé par la foule : sa mère, ses frères et ses sœurs sont dehors, ils le cherchent 7.
La morale voudrait que le Seigneur les fasse approcher, qu’ils s’assoient à ses côtés. Nous aurions ainsi un magnifique tableau de la « sainte famille ». Or, Jésus bouleverse l’ordre établi : ce sont ceux qui font la volonté de Dieu qui sont son frère, sa sœur et sa mère 8. Ainsi, en Christ, nos constructions humaines sont balayées au profit de ce qui est essentiel : dans l’amour de Dieu et du prochain, chacun devient mon père, ma mère, mon fils, ma fille.
1 Sara, Rebecca, Rachel, Anne, Élisabeth. 2 Matthieu 11.27. 3 Marc 1.11. 4 Galates 4.6. 5 Matthieu 6.9-13. 6 Ésaïe 49.15. 7 Marc 3.31-35. 8 Idem.