Par Jean-Pierre Thévenaz, Comité suissse de la Mission populaire, et Karin Phildiu
Venus de leur quartier, ils sont partis quelques semaines au soleil : même après la fin des programmes de « Soleil et Santé », le soleil de l’été rimait avec santé – mais sans colonie de vacances ! Certains enfants, pour leurs vacances, ont plutôt besoin d’un temps où ils sont reçus et accueillis pour eux-mêmes. Ils ne sont pas tous gagnants à être envoyés en colonies de vacances, notamment quand leur année les a déjà obligés à vivre semaine après semaine sous la pression des autres… Le privilège d’être accueilli seul – car c’en est un – est alors une maigre compensation pour une situation non privilégiée tout le reste de l’année, une tentative de se fortifier.
De leur côté, les familles d’accueil qui reçoivent pour un séjour cet enfant « privilégié » sont elles-mêmes aussi en train de partager un peu de leurs propres privilèges dont elles sont bien conscientes : la chance d’être une famille sans tensions qui peut s’agrandir pour un temps, la chance d’avoir un espace de vie suffisant pour un enfant de plus, du temps pour des vacances plus exigeantes, ainsi que des ressources pour financer des expériences originales ! C’est ce qu’elles ont offert sur plusieurs générations. Durant la guerre, il y avait eu des séjours de groupes d’enfants en Suisse. Mais de 1965 à 2015, il y a eu pendant cinquante ans cet effort de certaines paroisses suisses (puis aussi cévenoles) d’inviter leurs jeunes familles à offrir cet accueil aux enfants de la Mission Populaire. L’éducatrice Isabelle Matthey de Lausanne a raconté en 1995 dans son travail de mémoire comment elle a repris durant sept ans l’organisation mise sur pied par son père, le pasteur Pierre Matthey, à son retour de 14 ans de travail en France dans un poste de la Mission Populaire. Et j’ai moi-même repris à mon tour cette organisation pour les 15 dernières années, avec le relais de Karin Phildius dans le canton de Neuchâtel durant les 5 dernières années.
En tant que membre du comité suisse de la Mission Populaire, j’ai participé de 2013 à 2017 à l’organisation du séjour des enfants des fraternités de Paris, Rouen et Lyon en Suisse, en collaboration avec Jean-Pierre Thévenaz et avec Richard Dahan, ainsi qu’avec une petite commission de la Mission Populaire, mandatée à cet effet. Nous avions bien sûr à faire des démarches administratives et juridiques, heureusement soutenues par le secrétariat de la Mission Populaire. Mais le plus intéressant et aussi le plus exigeant, c’était le suivi des familles en Suisse, qui consistait en des rencontres, des appels téléphoniques, des envois de courriels, sans compter le débriefing.
Quand les enfants sont venus dès leur jeune âge (7-8 ans) dans une même famille, la satisfaction était plus grande, car l’enfant était en quelque sorte toujours mieux intégré et apprécié dans ce qu’il avait d’unique à apporter. Je pense pour ma part que la réussite des séjours d’enfants tient en grande partie dans la régularité de l’accueil dans une seule famille pendant plusieurs années. L’idéal serait de commencer vers 6-7 ans pour terminer l’expérience vers 15-16 ans (ce qui a été le cas pour Terence, Kilian, Laura, de magnifiques exemples !)
Le plus dur, c’était de constater des échecs, quand cela n’a pas croché entre une famille et un enfant, pour différentes raisons, plus sociales que culturelles. Je pense à tel enfant qui était tellement habitué à passer ses loisirs devant la télévision ou avec des jeux vidéo, qu’il était très difficile pour la famille de l’intéresser à autre chose. Ces dernières années, nous étions amenés plusieurs fois à nous poser les questions suivantes : Avons-nous sous-estimé le rôle social et éducatif des familles accueillantes ? Certains enfants n’auraient-ils pas eu avantage à un accueil dans une structure spécialisée ?
Ces dernières années, il était devenu de plus en plus difficile de trouver de nouvelles familles, car la publicité et les invitations passant par le réseau paroissial n’ont pas eu de résultats ; il aurait fallu aussi renouveler et rajeunir notre équipe pour le suivi des familles, développer une communication sous de nouvelles formes, se donner les moyens pour valoriser les séjours réguliers dans une même famille.
Les aspects juridiques et administratifs sont aussi devenus particulièrement complexes et lourds à assumer. Il reste heureusement beaucoup de souvenirs positifs que je garde précieusement. Par exemple cette sortie au bord du Doubs, où j’ai retrouvé quelques familles avec les enfants et où l’on a pu partager ensemble joies et défis de l’accueil. Ou encore l’arrivée des enfants sur le quai de gare à Lausanne, les regards remplis d’espérance mais aussi de craintes. Trois semaines plus tard, nous les revoyions sur le quai de gare, les yeux pétillants, arborant pour la plupart de larges sourires, parfois des larmes jaillissaient, car les vacances, c’était fini…
Durant ces trois semaines, les enfants se sont plongés dans une culture différente, ont suivi des activités en pleine nature, ont découvert d’autres horizons. Les familles elles-mêmes se sont investies de tout leur cœur pour que l’équilibre familial ne soit pas rompu mais que chacun puisse trouver son bonheur et apprendre de cette expérience.
Je garde une infinie reconnaissance pour les nombreuses familles qui ont tenté l’expérience, une fois ou plusieurs années de suite : toutes ont témoigné d’un sens de l’accueil, d’un désir de partage et d’un don de soi qui me font chaud au cœur. Je remercie aussi tous ces enfants qui, venant de condition de vie souvent difficiles, tentent l’expérience de quitter leur lieu de vie familier pour découvrir un contexte totalement différent et en tirer des enseignements pour leur vie entière.