Qu’est-ce que l’homme ? Corps, âme, esprit : quelles relations entretiennent ces trois entités ? L’une a-t-elle plus de valeur que les autres ?

Nous sommes les héritiers de divers courants de pensée. La philosophie platonicienne, considérant l’âme comme prisonnière du corps, a introduit l’idée d’une dichotomie entre corps et âme. Pour la pensée hébraïque, le mot que l’on traduit par « âme » désigne la personne tout entière, la vie. Ainsi, dire « mon âme », c’est presque dire « je ». La religion chrétienne, quant à elle, a parfois dévalorisé le corps, considéré comme impur, lié au péché, et par conséquent suspect et méprisé.

Sauver la vie ne se réduit pas à sauver le corps

Aujourd’hui, nous redécouvrons la nécessité d’être attentifs aux perceptions de notre corps, d’en prendre soin. Mais qu’en est-il de la dimension spirituelle de notre être ? L’exemple récent de la pandémie est assez éclairant à ce sujet : l’urgence fut de « sauver des vies », une préoccupation légitime mais qui amena à négliger la dimension relationnelle des êtres.

La formule « sauver des vies » vient questionner tant le mot « sauver », avec son inévitable écho au vocabulaire religieux, que le mot « vie », employé ici dans le sens de « rester en vie ». Le philosophe Olivier Rey rappelle que le dictionnaire de l’Académie française, dans ses quatre premières éditions1 , donnait pour sens du mot vie : « l’union de l’âme avec le corps » alors que dans l’édition de 1935, la vie devient : « l’ensemble des phénomènes et des fonctions essentielles se manifestant de la naissance à la mort et caractérisant les êtres vivants2 ». La vie se réduit dès lors à une définition purement biologique. La vie dans sa matérialité aurait-elle paradoxalement concentré sur elle la dimension du sacré, au point que « sauver la vie » se réduirait à « sauver le corps » ? 

N’aurait-on pas quelque peu oublié aujourd’hui la dimension spirituelle de l’humain, sa quête de sens, sa capacité de se construire en lien avec les autres et de maintenir son identité contre vents et marées par le fait de se raconter, de mettre sa vie en récit ? Que faisons-nous pour notre être intérieur, notre désir de vivre une vie qui ait du sens, notre paix et notre joie profonde ? Prenons-nous soin de l’essentiel, qui est invisible pour les yeux ? 

Qu’est-ce qui nous rend vivants ?

Au livre de la Genèse, l’homme (Adam) est tiré de la terre (adamah), puis il reçoit le souffle divin. Et c’est alors qu’il devient véritablement vivant. Nous sommes terre et ciel, corps et âme, tour à tour ramenés à notre condition de « terriens » et traversés par des aspirations à nous dépasser, des désirs de liberté, d’amour, de fraternité. C’est tout cela qui fait notre identité dans sa complexité et sa richesse, et qui trace le fil rouge de nos vies malgré failles et ruptures. La vie dans toutes ses dimensions, affective, sentimentale, relationnelle, sociale, spirituelle, est beaucoup plus que le fait d’être en vie.

Pour Jésus, le verbe « sauver » revêt toujours une double dimension : guérir le corps mais aussi la personne tout entière, en lui permettant de reprendre sa place dans la communauté humaine. Un regard qui voit vraiment les êtres, une parole qui relève, un geste qui remet en marche ne sont-ils pas autant de façons de permettre le retour à une vie pleine et entière, en un mot, de véritablement « sauver des vies » ? 

Par Christine Renouard, Église protestante unie de France

1 1694, 1718, 1740, 1762.

2 Olivier Rey, L’Idolâtrie de la vie, « Tracts », n° 15, Gallimard, Paris, 2020, p. 35.