La vie se choisit-elle vraiment ? Il me semble que j’ai reçu le goût de vivre en cadeau, dès le commencement. Un amour accueillant et une admiration inconditionnelle m’ont lancé dans la vie et communiqué une sécurité intérieure profonde. Il est même probable que, double et immense cadeau, ce climat initial m’ait rendu plus facilement sensible à cet Amour venu de plus loin, et cette audace confiante de pouvoir dire avec le psalmiste : « Je te célèbre, car je suis une créature merveilleuse » (Ps 139, 14). Bien-sûr, des ombres et des fissures me font sentir parfois découragement et peur d ’être pleinement vivant parmi les autres. Mais jamais au point que se trouble en moi l’eau profonde du goût de vivre.

Un sens existentiel

Comment donc te rejoindre, toi qui aujourd’hui ne trouves plus le désir de vivre ? Dois-je me contenter d’être, comme un ami de Job, ce témoin maladroit de ta plainte, impuissant et toujours trop bavard ? Priant et espérant que ta plainte finisse par user non seulement toi-même, ton entourage et Dieu, afin que tu retrouves un désir de vivre. Bien des « Job » éprouvés n’arrivent pas jusqu’au chapitre 38 où enfin résonne la voix de Dieu du milieu de la tempête, car leur voix épuisée s’est éteinte en chemin. Je me prépare aussi, douloureusement et silencieusement, à cette éventualité, pour te laisser libre. Mais es-tu libre de ce choix ? Est-ce vraiment un choix, le vouloir vivre ? N’y a-t-il pas d’abord un sentir vivre sur lequel aucune volonté n’a prise ? L’expression biblique « choisis la vie » (Deutéronome 30,15) a-t-elle un sens, non seulement moral (« fais le bon choix »), mais aussi existentiel, spirituel, intérieur ? Y aurait-il en toi un petit espace pour le sourire, un entrebâillement de porte, même furtif, où tu pourrais mettre le pied et consentir à laisser passer un rai de lumière ? Une fissure de vie ? Le poids de l’ombre est-il si total que tu ne puisses que le subir, et qu’à aucun moment tu ne sentes la possibilité d’y agir ? Ta solitude est-elle à ce point oppressante qu’aucun invité ne puisse un jour y trouver une véritable place ? N’entends-tu pas la voix ténue de quelqu’un qui se tient à la porte et qui frappe, prêt à partager avec toi le repas ? (Apocalypse 3,20).

« Comment donc te rejoindre, toi qui aujourd’hui ne trouves plus le désir de vivre ? »

La volonté peut-elle ouvrir le désir ? Y aurait-il pour toi un jour ce miracle, le pas que tu consentirais à faire pour ouvrir malgré tout cette porte à la présence de vie ? Embrasserais-tu un jour cette vie lépreuse pour qu’elle te fasse passer de l’amertume à la douceur ? Que résonne pour toi en vérité la parole qui fut dite un jour à l’homme paralysé : « Lève-toi et marche ! » (Luc 5,23) Non comme un ordre dérisoire ou culpabilisant, mais comme une expérience de confiance et de vie. Ces questions qui s’accumulent, puis-je même te les adresser ? Tu sau r a s me le d i re, si j’écoute. Aujourd’hui, je ne peux que laisser résonner en moi ces mots de Jésus : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi je vous ai choisis et je vous ai établis afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. » (Jean 14,16) .