Par Gisèle Dambuyant, maître de conférences en sociologie à l’université Sorbonne-Paris Nord.

Si chaque époque et chaque culture définissent un « corps idéal », généralement jeune, sportif et performant, quid du corps ordinaire qui, lui, est vulnérable ? En effet, au cours de sa trajectoire de vie, l’individu est exposé à des risques corporels et environnementaux qui le placent, en fonction de ses ressources, en situation de fragilité, de précarité ou d’exclusion. Ces diverses situations éprouvent le corps, qu’il convient de réhabiliter.

Prendre soin du corps vulnérable, le soulager, l’embellir

Le verbe « réhabiliter » suppose de rétablir quelqu’un dans ses droits ou ses fonctions. Comment dès lors imaginer la réhabilitation d’un corps éprouvé par des difficultés relationnelles, de travail, de logement, de santé… assorties de souffrance physique, psychologique, sociale, symbolique ? On pense spontanément aux professionnels médicaux ou psychosociaux pour le prendre en charge, mais il existe une approche complémentaire : la socio-esthétique.

La socio-esthétique se définit par des pratiques sociales de soins de beauté, individuelles ou collectives, sur le corps vulnérable en souffrance ; elles participent à la reconnaissance de l’identité de toute personne humaine, quels que soient son âge, son sexe, sa situation ou sa culture…

La socio-esthétique concerne tous les publics et s’exerce dans de nombreux établissements médicaux, sociaux et pénitentiaires. Elle s’occupe du corps en souffrance par le toucher, la parole, le regard, lui reconnaît sa valeur et sa beauté, est attentive à ses émotions et prend en compte, quelles que soient ses conditions d’existence, son humanité et sa dignité. La pratique favorise, par le mieux-être avec soi-même, la relation à l’autre, et se décline entre prendre soin du corps vulnérable, le soulager et l’embellir.

Réhabiliter le corps malmené, précaire et exclu

La fragilité s’associe à la notion de dépendance à autrui pour les soins quotidiens. Elle existe aux âges extrêmes de la vie ou à l’occasion de graves problèmes de santé. Cette prise en charge peut être assurée par des proches ou, plus souvent, des établissements hospitaliers ou des institutions médicosociales. Dans les premiers, la dureté du traitement médical est compensée par la douceur des soins esthétiques ; dans les seconds, la singularité de ces soins atténue la pesanteur du collectif.

La précarité est associée à de nombreux risques et devient problématique en cas de pertes de certaines ressources : le travail, la santé, l’entourage… Des prises en charge ponctuelles apparaissent nécessaires. Pour réhabiliter le corps précaire éprouvé, la socio-esthétique privilégie la restauration de l’image du corps quand l’insertion professionnelle est prioritaire, tandis qu’elle valorise davantage l’estime de soi lorsque l’objectif premier est l’insertion sociale.

Être exclu, c’est être « chassé de la société ». Le corps exclu est malmené par de multiples formes de violences et peut être restauré par un parcours de soins sociaux, médicaux, psychologiques et esthétiques qui contribuent à la reconstruction de son identité. La socio-esthétique a toute sa place dans ce processus.