À l’époque moderne, on considère que le corps représente l’individu dans sa globalité : je suis incarné, mon corps est moi, à la fois substrat charnel et siège de mes expériences psychiques et spirituelles. Comme moi, autrui est aussi un corps, et toute relation passe par le corps et ses cinq sens !
Le corps, lieu de notre identité
Le corps reflète la construction de notre identité personnelle. Or, la technologie médicale l’a rendu transparent : biométrie, carte génétique, IA… permettent de l’identifier. Quel usage est-il fait de ces informations quand elles dépassent la question de la délinquance, ciblent une population vulnérable, réfutent la minorité ou l’identité d’un migrant ?
Notre corps en dit long sur notre identité sociale, religieuse, culturelle, qui nous façonne par des tatouages ou scarifications, des coiffures, des prédicats alimentaires, des diktats vestimentaires, des rituels de passage (excision, circoncision)… et finalement sur le mode relationnel homme-femme. Dans notre société devenue multiculturelle, où les codes ne sont pas connus ni acceptés par tous, comment éviter que ces marqueurs ne deviennent sources de préjugés, harcèlement, racisme, exclusion ?
Les médias, les réseaux sociaux, donnent des images idéalisées du corps humain et marginalisent tout ce qui s’en éloigne. Mais comment définir, et sur quels critères, une « anomalie » ? Comment concevoir qu’une vie humaine comporte des événements normaux mais bouleversants comme la puberté, le vieillissement, la maladie, un handicap ? Quelle place est faite aux corps imparfaits ?
En fin de compte, mon corps, biologique, psychique, social, visible, sensible, secret… est sans cesse confronté au corps de l’autre, tout aussi complexe. Pas de moi sans toi – c’est la notion même d’altérité.
Le corps, objet de respect
De cette confrontation peut naître le non-respect du corps, la violence du rapport au corps de l’autre. Il ne va pas de soi de reconnaître la valeur universelle de la dignité humaine, incluant le respect de l’intégrité de son corps (inviolable, indisponible et non commercialisable…).
Mais, dans notre société libérale, il existe une tension entre le respect de cette dignité fondamentale et la liberté individuelle (supposant l’autonomie du sujet). Jusqu’où revendiquer un droit à disposer de son propre corps ? Quelle différence entre acquiescement et consentement ? Quelle frontière entre usage et comportement addictif ?
L’éthique du corps en appelle au « prendre soin »
Liée au « bien vivre ensemble », l’éthique du corps dépasse le simple respect, incluant l’égard ou la considération que nous portons à autrui, visant le « prendre soin », la sollicitude… dans une relation humaine très interdépendante. Or, le corps que je suis est l’objet de désirs inconscients, de pulsions ou de fantasmes : curiosité, agressivité, répulsion, pouvoir, manipulation, humiliation, sont en filigrane de la relation de soin, en accord ou non avec des valeurs et croyances (personnelles, sociétales, culturelles…), au point qu’un professionnel peut agir malgré lui, « à son corps défendant », envers un corps objet (et non plus sujet) de soin…
Dans nos institutions, veillons-nous suffisamment à l’intentionnalité des gestes de soin, tant ils renvoient à la relation que chacun entretient avec son propre corps, et celui de l’autre ?