« L’autre jour, elle m’a encore fait venir en urgence ! » Élisabeth, appelons-la ainsi, tire une longue bouffée sur sa cigarette, un sourcil relevé, exaspérée. À 63 ans, cette Valaisanne installée à Genève (Suisse) a élevé cinq enfants, quitté son époux, et imaginait une retraite tranquille : vadrouilles entre copines, visites à ses petits-enfants, à sa maman. Mais cette dernière, plus très autonome, la sollicite systématiquement pour des urgences. « Entre elle et moi, ce n’est jamais passé : je n’étais pas celle qu’elle voulait. Mais au sein de la fratrie je suis la plus proche géographiquement. Et en cas de pépin, elle intime qu’on soit là de suite. Devoir lui dire non engendre des remords, alors que les choses pourraient être plus douces. Cette relation provoque de la colère et de l’impuissance… »

Moments de grâce et ras-le-bol

À Neuchâtel (Suisse), Lydia, également un prénom d’emprunt, est « bonne élève ». Cette jeune séniore travaille toujours, mais se rend au chevet de ses parents nonagénaires sept jours par mois. Toilettes, repas, courses : tout, y compris les tâches les plus ingrates. « Je ne perds pas mon temps, je le consacre ! » souligne-t-elle. Pour autant, la situation reste pénible pour elle. Il y a d’abord la confrontation, inéluctable, avec une forme de déchéance physique. « C’est désagréable : j’ai sous les yeux ce que je vais devenir ! En ce sens, voir le corps de ma mère m’est plus pénible que celui de mon père. C’est un miroir implacable, comme si j’étais déjà cette enveloppe charnelle qui se défait. Cela m’empêche d’imaginer une autre vieillesse ! »

Et puis un profond « ras-le-bol » qui surgit d’une « impuissance complète », face à cette situation qui s’éternise, mine de rien. « Ils n’y peuvent rien, ce ne sont pas des acharnés à vivre qui enchaînent opérations sur interventions ! Je vois bien qu’ils sont fatigués eux aussi. Je ne peux pas leur en vouloir ! » Les jours où elle est pressée ou stressée, le spectre de la maltraitance verbale n’est pas loin… Tout n’est, bien sûr, pas si noir : Lydia décrit aussi des moments de grâce absolue devant son papa qui n’a plus toute sa tête et dont les mots composent une poésie magnifique. Ou son admiration pour une maman souffrante, « déterminée à rester coquette jusqu’au bout ».

Reste qu’au quotidien rien n’est simple, surtout quand les relations familiales n’ont jamais été au beau fixe. « Mes parents ne sont pas d’une génération où on se remet en question. Et puis on ne les éduque pas ! » Quant au sens de tout cela, […]