Kant, au XVIIIe siècle, prétendait que les émotions étaient des états de folie passagère. Les Romains parlaient de motus animi, des mouvements de l’âme qui ne sont pas directement soumis à la volonté. C’est Descartes qui, le premier, a utilisé le mot « émotions » pour nommer ces « affections » psychiques et corporelles, un mot courant de la langue française du XVIIe siècle, signifiant « émeute » ou « agitation ».

Il existe sept « émotions de base » : la joie, la tristesse, la peur, la colère, la surprise, le dégoût et le mépris. Notre époque serait gouvernée par l’émotion collective. Tout au moins l’émotion constituerait-elle aujourd’hui l’unique ciment social démocratique, au détriment de la réflexion et de la pensée. L’ultra-médiatisation est à l’origine de ce phénomène : les informations nous arrivent par milliers sous forme de flashes intensifs que notre raison n’a pas le temps d’analyser.

La communication utilise l’émotion pour mieux capter l’attention d’un public distrait qui souhaite une information rapide. Les jeunes générations lisent ou regardent les informations majoritairement sur un téléphone portable. Ces informations, sommaires, se limitent à l’essentiel et n’accordent pas beaucoup de place aux développements rédactionnels.

Un des dangers de cette information émotionnelle réside dans la réaction de ceux qui nous gouvernent. En réponse à l’émotion de l’opinion publique, touchée par un fait divers ou de société dramatique, ils proposent une nouvelle loi, sans vérifier sa cohérence ni son bien-fondé au regard des lois existantes.

Les juristes dénoncent régulièrement l’inflation législative désordonnée dont le seul but est d’apaiser momentanément le trouble populaire. En lieu et place d’une pensée et d’une analyse fournies, on convoque désormais les témoignages individuels qui, pour être pertinents, n’ont pas forcément vocation à être généralisables. On étale le pathétique dans le but de plaire à un public que l’on craint d’ennuyer par des propos distanciés.

Mais les réactions émotionnelles sont vagabondes. Une idée chasse l’autre et l’effusion lacrymale est éphémère. Le témoignage n’est en rien contestable puisqu’il n’est que pure subjectivité mais il laisse celui qui le reçoit dans une grande passivité réflexive.

Éric Dupond-Moretti, dans sa préface au livre d’Anne-Cécile Robert, La Stratégie de l’émotion, écrit : « Il [ce livre] nous rappelle que la liberté n’est pas une facilité et nous met en garde contre l’émotion qui génère, dans l’excès, une dictature qui nous tient tous dans un formatage panurgique. »

Faut-il malgré tout préserver l’émotion ? Sans aucun doute. Hegel affirmait que « rien de grand ne se faisait sans passion ». Le philosophe Frédéric Lordon démontre, quant à lui, que penser est nécessaire à l’action mais ne suffit pas. Soumis à notre quotidien, nous naviguons dans un milieu qui n’est pas neutre, et il est indispensable de percevoir la relation qu’entretient notre organisme avec son environnement immédiat. L’idée n’est rien si elle n’est pas affectée.

Pour traiter l’information, émotions et réflexion s’entremêlent, sentiments et raison se complètent et se stimulent d’une façon parfois surprenante.

Mais l’émotion ne peut pallier l’absence de visée ou de morale collective, même si elle conjure brièvement le sentiment pesant de l’impuissance en permettant une communion, certes un peu primitive, face à la difficulté des temps.