Cette binarité reste étrange : danger tous azimuts, principe de précaution proposé en défense. Or les deux termes, danger et principe de précaution, sont des perceptions non pas erronées mais qui ont un caractère opérationnel très modeste, sinon nul. Car les réponses qu’elles déclenchent, toujours ultra-médiatisées, suscitent autant d’angoisse injustifiée que de fausse réassurance.

Le risque dépend des conditions d’exposition

Un danger est toujours une potentialité dont le risque dépend de ses caractéristiques. Ainsi le virus du sida n’est un danger que s’il est contracté lors d’un rapport sexuel ou d’une injection intraveineuse. En dehors de ces cas, le danger est nul. Le risque dépend donc des conditions d’exposition.

En revanche, le danger du sport de parapente, d’une conduite à grande vitesse, de la consommation de cannabis ou de benzodiazépine au volant, du tabagisme… se confond avec le risque. Avec cet autre paradoxe : le lien entre le risque et le danger fait moins peur lorsqu’il est étroit que quand il est distendu, par exemple pour les risques environnementaux, les perturbateurs endocriniens ou encore les rayonnements ionisants. Certes, il n’est pas question de nier leur dangerosité, ni l’irresponsabilité de ceux qui en font usage, mais en apporter la preuve est extrêmement difficile par des études épidémiologiques contradictoires, voire impossible.

Il est alors bien difficile de comprendre que des sommes astronomiques soient dépensées pour apprécier non pas le risque mais le danger potentiel, alors que des sommes dérisoires sont consacrées à des situations où le danger, qui se confond avec le risque, peut être vraiment supprimé, comme dans le cas de l’excès de sucres dans l’alimentation ou de l’usage du tabac chez les plus jeunes…

Sans danger ni risque, peu de changements radicaux

Dégainer le principe de précaution à chaque instant définit l’existence même d’une obsession sécuritaire qui manque totalement son objet. Le risque vrai demeure mais le danger est écarté ou plutôt procrastiné. La science n’y échappe pas. Une recherche obsédée par le principe de précaution (certes légitime dans sa réalisation, on ne lâche pas un virus dans la nature…), qui s’attache à ne faire courir ni danger ni risque, n’aboutit que rarement à des changements radicaux. Pasteur a pris des risques avec son vaccin contre la rage, comme Jenner avec son vaccin contre la variole et, plus récemment, Stéphane Bancel avec son vaccin à ARN messager contre le SARS-CoV-2.

Dégageons-nous de cette mise en garde permanente contre tout danger et protégeons-nous avec discernement du risque.

Didier Sicard, médecin, ancien président du Comité national consultatif d’éthique