Quand au printemps dernier mon conjoint a lancé l’idée comme une boutade : « Tiens, si on allait dans un village naturiste, cet été ? », la proposition m’a fait sourire autant qu’hésiter. Je ne suis pas particulièrement prude, et comme tout le monde, j’ai déjà tenté l’expérience d’ôter mon maillot de bain en catimini dans la mer, les quelques fois où je m’estimais à une distance suffisante pour que personne ne me voie. Car nager nu, il faut reconnaître, est un vrai bonheur. Nous nous étions déjà baignés seuls sur quelques plages très isolées, en restant aux aguets d’éventuels visiteurs. Mais me promener toute nue devant des inconnus, me retrouver dans le plus simple appareil devant des vieux messieurs bedonnants, était-ce vraiment ainsi que j’avais envie de passer mes vacances ? Allez, banco !

Evidemment, nous nous sommes bien gardés de partager ce projet avec nos amis ou parents, qu’allaient-ils en penser ? Entre sarcasmes et dégoût, les lieux communs sont nombreux. Les questions fusaient tout autant dans mon esprit : Que dois-je emporter ? Est-ce que ça va me plaire ? Qui sont ces gens que l’on risque de croiser ? Quels comportements adopter ?

Bref, après la préparation de la valise la plus légère de toute ma vie et quelques centaines de kilomètres d’autoroute, bienvenus dans le village des tout-nus ! Si les employés sont habillés, pour des questions évidentes d’hygiène, les vacanciers affichent une certaine aise dès l’accueil. On nous rappelle toutefois les règles de bienséance des lieux, afin de n’avoir aucune attitude équivoque ou gênante pour les autres résidents. Le respect des autres d’abord. D’autant que nous sommes dans un village familial où se côtoient toutes les générations, et de nombreux enfants.

Et là, plus question de faire semblant, il faut poser robe et sous-vêtements, pour ne garder que le seul accessoire indispensable dans cet endroit : une serviette pour pouvoir s’asseoir n’importe où – l’hygiène, toujours. Le cœur battant, mais soutenue par mon compagnon qui, lui, ne semble pas voir où est le problème, me voilà partie à la découverte de mon nouveau lieu de villégiature.

J’essaie d’afficher le plus grand naturel, mais au début je n’en mène pas large. Comment font les autres pour ne ressentir aucune gêne ?

Tout à coup je ne sais plus quoi faire de mes bras, je rentre mon ventre, je marche en regardant mes orteils et je me demande s’il faut sourire ou faire la tête : va-t-on tenter de nous aborder si nous sommes trop avenants ? Voilà bien l’un des a priori qu’ont les « textiles » – nos semblables qui portent des vêtements : on va dans ce genre d’endroits pour draguer ou se lancer dans des expériences extrêmes, favorisées par la nudité affichée. Ce serait confondre naturisme, nudisme et exhibitionnisme. D’ailleurs, que les messieurs se rassurent, j’ai vite compris que la vue d’un corps nu était d’une banalité qui les laissaient de marbre. Ouf !

Adieu mes complexes

Chemin faisant, je ne peux pas m’empêcher de penser au regard des autres sur moi, et en particulier à tous ces défauts qui me complexent. Dans chaque vitrine croisée, je cherche mon profil. N’ai-je pas l’air ridicule à me balader ainsi ? Pourquoi n’avoir pas perdu avant l’été ces 3 kilos de trop ? Je suis au supplice. De la piscine en passant par le bar ou la supérette, je réalise que tous les profils se côtoient : des petits, des grands, des maigres, des gros, des jeunes, des vieux, des personnes avec un handicap apparent… Bref, un condensé de la société, mais surtout, une indifférence totale au regard des autres car, sans vêtements, tout le monde est sur un pied d’égalité. Je commence à ressentir un réel soulagement et à me détendre vraiment. Il ne m’a fallu que quelques heures pour libérer peurs et complexes et commencer à apprécier les aspects réellement plaisants de l’expérience.

Une expérience totale

La première découverte, c’est incontestablement le sentiment de liberté. Il est possible car le lieu est clos, avec un accès réservé, et chacun circule en confiance en sachant que nul trouble-fête ne viendra perturber cette forme ultime de lâcher-prise. La plage attenante, surveillée, offre une totale quiétude, et se baigner en tenue d’Eve ou d’Adam y est la règle. Car il est important de jouer le jeu. On peut avoir froid, ou l’envie de se couvrir légèrement dans certains lieux, mais il est demandé de vivre nu le plus souvent possible, paradoxalement pour ne gêner personne.

Une exception est faite pour les adolescents. Même ceux qui ont connu dès l’enfance le naturisme en famille traversent une période où ils ont envie de s’habiller à nouveau, donc ils font comme ils veulent.

Le deuxième attrait, c’est le contact avec les éléments naturels. J’imaginais à l’avance le plaisir de nager en toute liberté, j’ai surtout découvert celui de marcher dans le vent, caressée par une brise légère. Jamais de ma vie je n’avais ressenti l’air m’envelopper ! Ni perçu les gouttes de pluie glisser sur moi de la tête au pied – et en me moquant bien d’être mouillée. Car la simplicité s’invite dans ces vacances, du matin au soir. On se lève, on se douche (souvent dehors), et on sort ! On plonge dans la piscine, on se sèche et on s’étend au soleil. On pose sa serviette sur la plage et on court se baigner. Plus essentiel, on ne peut pas !
D’ailleurs ceux qui en profitent le plus, ce sont les enfants. Ils courent et jouent en tous lieux, avec un naturel désarmant. Je me dis que cette facilité à cohabiter de manière décomplexée avec leur corps est une chance pour toute leur vie. Des enfants que je trouve d’ailleurs particulièrement bien surveillés par leurs parents, qui veillent à ce qu’ils ne crient pas, ni ne dérangent les autres.

Le respect est valable pour tout : dans le respect de la nature (eh oui, nul détritus ne jonchent les allées) et des autres. Pas de cris, ni de bousculades, ou de musique à tue-tête, l’ambiance est au repos et le calme règne en maître. Les échanges entre vacanciers sont polis, les gens se saluent, mais personne ne dérange personne. Force est de constater que le village est fréquenté par de nombreux étrangers, provenant majoritairement des pays du Nord de l’Europe, où le rapport apaisé au corps et le contact avec la nature sont encouragés dès le berceau.

Côté activités, il y a de quoi faire : vélo, tennis, poney, tir à l’arc, surf… Je vous vois sourire : tout ça tout nu ? Oui, et ça n’est absolument pas ridicule, pas plus que de boire un verre au bar ou d’aller faire son marché. Cette question-là est parmi celles qui reviennent le plus : vous faites vos courses tout nus ? Totalement, et le pire c’est qu’on ne s’en rend même pas compte !

Après quelques jours à ce régime, il a été difficile de renfiler nos vêtements pour prendre le chemin du retour. On ne regrettera pas cet été où l’on a découvert un mode de vie au plus près des rythmes de la nature, sans doute l’un des plus reposants qu’il nous a été donné de vivre.