Je suis le corps d’un homme de 1,83 m pour 83 kg. Je suis l’esprit d’un professeur d’université. Et je suis l’âme d’un protestant réformé. Je suis aussi un corps à qui Jésus-Christ montre la voie. Je suis aussi un esprit de soixante ans, marié, père et grand-père. Et je suis enfin une âme de coureur de marathon. Cet article concerne la juste place du corps, de l’esprit et de l’âme dans un système qui reconnaît trois dimensions de la santé comme de la maladie. Une dimension physique (santé et maladie du corps), psychologique (de l’esprit) et spirituelle (de l’âme).

Ces trois dimensions sont interdépendantes. Mon état physique dépend aussi des états de mon esprit et de mon âme. Mon état psychologique dépend aussi des états de mon corps et de mon âme. Et mon état spirituel dépend aussi des états de mon corps et de mon esprit. Un corps malade peut rendre l’esprit malade. Une maladie psychologique peut perturber l’âme. Une âme malade peut provoquer des maladies physiques. Mais corps, esprit et âme ne sont pas toujours en harmonie. Ils n’ont d’ailleurs pas besoin de l’être. Un esprit sain peut habiter dans un corps malade. Une âme saine dans un esprit malade. Un corps sain dans une âme malade.

L’âme n’est ni à côté ni dans le corps

Inclure l’âme dans le système de santé me semble juste. Juste, au sens que c’est rendre justice à ce qu’est l’être humain. Prendre soin de sa spiritualité maintient en santé. Donner des soins spirituels renforce la santé. Une âme plus saine aide à soigner les maladies physiques et psychologiques. Une âme plus saine aide aussi à mieux supporter les maladies physiques et psychologiques. Mais si ce système prétend localiser l’âme, il est faux. Car l’âme n’est pas à côté du corps ou de l’esprit. Pas plus qu’elle n’est dans le corps ou dans l’esprit. Elle est ailleurs. Elle les anime. L’âme est le principe de la vie. Elle fait vivre l’estomac et le cœur,les mains et les pieds, le cerveau et le sexe, le reste aussi. L’âme est un souffle, aspiré à la naissance, inspirant tout au long de la vie, que l’on expire à l’instant de la mort.

L’âme est saine quand le corps accepte ses limites

Mais qu’est-ce qu’une âme saine ? On en trouve évidemment de multiples conceptions. Celle que propose Paul-André Giguère, un théologien québécois, me plaît tout particulièrement. Réfléchissant sur la maturité de la foi, il écrit : « Nous dirons donc que la maturité de la foi de quelqu’un réside dans sa capacité de faire du sens et de réagir à propos de sa vie d’une manière satisfaisante (en termes de sens et de comportement), état qui traduit une actualisation et une intégration suffisantes de ses potentialités. Tous n’ont pas les mêmes potentialités, les défis de sens ne sont pas les mêmes aux différents moments de la vie, ce qui revient encore une fois à dire que la maturité est un état relatif à la personne d’une part, à la circonstance dans laquelle elle se trouve d’autre part. »

Une telle maturité de la foi laisse chaque personne libre de définir le sens de son existence et le comportement à adopter. Elle rend chaque personne responsable de le faire dans chaque circonstance de son existence.

L’âme est saine quand la foi est mature. Elle est saine quand une personne réussit à donner un sens aux possibilités et aux impossibilités de son corps et de son esprit. Elle est saine quand le corps et l’esprit font ce qu’ils peuvent et qu’ils acceptent de ne pas faire ce qu’ils ne peuvent pas. « Équilibre dynamique », écrit Paul-André Giguère. L’âme est saine quand elle maintient l’équilibre entre capacités et incapacités, entre parler et se taire, entre savoir et ignorance, entre maîtrise et lâcher-prise, entre confiance et doute, etc. Elle est saine quand les équilibres sont dynamiques. Quand elle s’adapte à la situation. Quand elle réagit à ce qui arrive avec plus d’action ou plus de contemplation, plus de force ou plus de douceur, plus de réflexion ou plus d’émotion…

Nous surestimons souvent les capacités de notre corps

Cette conception d’une âme saine correspond à mon expérience. Elle reconnaît qui je suis. Ce que je suis : corps et esprit. Elle valorise mes efforts pour faire quelque chose de ma vie. En même temps, cette conception d’une âme saine transforme mon existence. Elle me rappelle que je ne maîtrise pas tout ce qui m’arrive. Le croire relève de la maladie spirituelle. Une maladie à laquelle je n’échappe pas puisque j’ai tendance à me faire trop confiance. Je surestime souvent les capacités de mon corps et celles de mon esprit. Mais Dieu merci, mes soixante ans me forcent et m’aident à remettre mon corps et mon esprit à leur juste place. Sans pour autant sous-estimer mes capacités physiques et psychologiques. Ce qui serait aussi une maladie spirituelle. Mais pour laquelle j’ai plus de compassion. Car elle appauvrit les pauvres et affaiblit les faibles.

L’âme peut être malsaine

L’âme peut donc être malade. Mais elle peut aussi être malsaine. Elle peut l’être même en christianisme. J’en donne deux exemples. Elle est malsaine quand elle rend les malades responsables de leur maladie. « C’est votre faute ! » dit l’âme chrétienne malsaine. « Repentez-vous et Dieu vous guérira ! » ajoute-t-elle. Perversion spirituelle qui ajoute la culpabilité à la souffrance. Elle est aussi malsaine quand elle nie les différences. « Il n’y a plus ni malades ni personnes en santé », dit l’âme malsaine d’un corps et d’un esprit chrétien en santé. « Égalité en dignité et en droits », ajoute-t-elle. Bon sentiment aux effets pernicieux. Perversion spirituelle qui refuse de prendre en compte la maladie, le handicap, la vulnérabilité ou la faiblesse. Mais en matière de maladie et de santé, la justice est réparatrice. Elle doit vouloir guérir. Elle doit au moins soigner.

Finalement, quelle est donc la juste place du corps ? En plaisantant à peine, j’écrirais qu’elle est entre le bout des orteils et le sommet du crâne. Ni plus ni moins. Parce qu’il nous fait vivre, le corps mérite d’être pris au sérieux. Mais parce qu’on peut vivre avec un corps affaibli, amputé, détraqué, délabré, il ne mérite pas qu’on l’idéalise, encore moins qu’on l’idolâtre.